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mardi 7 juin 2022

De l'interdépendance

 En philosophie bouddhique, il est communément admis que tous les phénomènes composés sont interdépendants, et le système madhyamika prasangika, auquel je me réfère ici[1], va jusqu’à poser que tous les existants, incomposés comme composés, sont interdépendants.

 

Oui, mais  quel sens accorder au terme « interdépendance » ? C’est un sujet passionnant, et qui peut permettre d’approcher les notions centrales de « non soi » et de « vacuité », mais c’est aussi un sujet vaste et complexe qu’il serait impossible d’approfondir ici.

 

En très résumé, les phénomènes composés, ou encore impermanents, sont interdépendants, en ce sens qu’ils sont à la fois résultats qui procèdent de leurs causes, et causes générant des résultats. 

 

Tous les existants, toutes catégories confondues, sont interdépendants, car ils dépendent au minimum du sujet qui les perçoit et de la dénomination qui les désigne. 

 

En revanche, tout ne dépend pas de tout et n’importe quoi !



[1] La tradition philosophique bouddhiste recommande de préciser le système sur lequel on se base, par souci de clarté et d’honnêteté.

mardi 3 mai 2022

Les 4 systèmes philosophiques bouddhistes

Les 4  systèmes philosophiques bouddhistes tirent leur origine des 3 cycles d'Enseignements du Bouddha : les Trois Roues du Dharma.

1) Systèmes du hinayana  
 
Ils réfutent la conscience tréfonds (alayavijnana), la conscience souillée, le non-soi des phénomènes (la vacuité), les 10 terres de bodhisattva, les Trois Corps de Bouddha, etc.

Les « anciens » n’admettaient pas le mahayana en tant que Paroles du Bouddha.


a) Le système vaibhashika
Un vaibhashika est un philosophe du petit véhicule envisagé sous l’angle qu’il réfute l’auto-perception et admet que les phénomènes extérieurs sont réellement établis.

Branches :
Plusieurs classifications : en trois ; en deux ; en quatre ; en dix-huit (classification importante, car effectuée en fonction des Vinaya respectifs - dont il subsiste 3 à notre époque).


b) Le système sautrantika

Un sautrantika est un philosophe du petit véhicule envisagé sous l’angle qu’il admet que l’auto-perception et les phénomènes extérieurs sont des phénomènes réellement établis. 
 
Deux branches :
Sautrantika qui suivent les textes (soutras)
Sautrantika qui suivent les raisonnements


Systèmes du mahayana

La différence au sein des écoles du mahayana porte sur la manière de définir la vérité ultime. 
 
Toutes les écoles du mahayana admettent le non soi des phénomènes (vacuité) ; les deux vérités ; les 15 chemins et les 10 terres ; les 2 modes de production de l’esprit d’Éveil ; les 2 types de méditation ; les Trois Corps de Buddha, etc. 

a) Le système cittamatra
Un cittamatra est un philosophe du grand véhicule envisagé sous l’angle qu’il affirme que les trois mondes sont juste esprit (juste de la nature de l’esprit). 
 
Deux branches :
Cittamatra qui suivent les textes
Cittamatra qui suivent les raisonnements

b) Le système madhyamika
Un madhyamika est un philosophe du grand véhicule envisagé sous l’angle qu’il affirme qu’il n’est pas une particule qui existe réellement བདེན་གྲུབ་. 
 
Deux branches :
      Svatantrika (subdivisés en deux : ceux qui suivent les textes et ceux qui suivent les    raisonnements)
      Prasangika


jeudi 15 juillet 2021

Et si on revenait au simple bon sens ?

Dans le système philosophique madhyamika prasangika, pour établir ce qui est et ce qui n'est pas, on recourt notamment au ... bon sens.
  

Descartes aussi disait dans le Discours de la méthode (publié en 1637) :
Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous se trompent ; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, mais le principal est de l’appliquer bien. 



vendredi 2 juillet 2021

Philosophie bouddhiste

L'Enseignement du Bouddha est riche et varié - c'est qu'il a été dispensé rien moins que 45 années durant. De plus, le Bouddha n'énonçait pas la "Vérité", au sens d'une Vérité absolue et unique à laquelle chacun serait tenu d'adhérer. Non, il exposait la voie que lui-même avait suivie, en adaptant la présentation aux capacités et aspirations des auditeurs.

Sur une base commune - la finalité est de surmonter la souffrance et d'accéder au bonheur -, le bouddhisme offre donc différentes branches.

Les "véhicules", yana en sanskrit, (grand et petit, ou encore des shravaka, pratyekabouddha et bodhisattva) se distinguent de par leur conception de la souffrance à rejeter et du bonheur à réaliser, et donc de l'objectif à atteindre et des conduites à adopter pour ce faire.

Les "systèmes philosophiques", siddhanta en skt ("qui est allé au bout de l'analyse") se démarquent par les vues professées, notamment à propos du non-soi.

Pour simplifier, il y a quatre systèmes principaux :
- Vaibhashika, établi par la Première Roue du Dharma, avec le Soutra des quatre nobles vérités ;
- Sautrantika, établi par la Première Roue du Dharma, avec le Soutra des quatre nobles vérités ;
- Cittamatra, établi par la Troisième Roue du Dharma, avec le Soutra commentant la Pensée ;
- Madhyamika, établi par la Deuxième Roue du Dharma, avec le Soutra de la Sagesse.

Le Bouddha, qui n'a d'ailleurs cessé d'enseigner la loi de causalité et l'interdépendance, a forcément tenu compte du contexte dans lequel il vivait : l'Inde d'il y a 2 500, 2 600 ans.
L'Inde dont la culture était d'ores et déjà ancienne et très raffinée.

Le Bouddha a donc repris bien des notions déjà connues et admises de ses contemporains, quitte à apporter un éclairage nouveau sur certains points, ou à introduire des nuances, ou des précisions : passage d'une naissance à l'autre ; samsara et libération ; karma bien sûr, sans oublier la logique et l'art du débat remarquablement maîtrisés.

Mais il est aussi arrivé que le Bouddha réfutât certaines vues pour en affirmer d'autres, en particulier à propos du soi (skt atman ; tib. bdag) et du non-soi.

Les écoles hindouistes étaient déjà à l'époque extrêmement nombreuses.
Toujours pour simplifier, on parle de 5 ou de 6 courants principaux.

Classification en 5 :
Vaishnava, Aishvara, Jaina, Kapila (Samkhya), Barhaspatya.

Classification en 6 :
Vaishesika, Naiyayika, Samkhya, Mimamsaka, Nirgrantha, Lokayata (Carvaka)
Il est dit que, parmi ces 6 écoles, les 5 admettaient un soi (atman) "éternel", tandis que le système Carvaka n'envisageait qu'une seule et unique vie : l'actuelle.

Par rapport à ces vues, le Bouddha a introduit la notion de "non-soi" : absence d'un "soi" qui serait à la fois "permanent, un et indépendant", ou encore qui serait "établi de manière autonome et auto-substantielle", MAIS avec en parallèle l'affirmation d'un soi qui existe sur un mode relatif, ou encore conventionnel, c'est à dire qui existe en dépendance de ses agrégats constitutifs, etc.
Rapporté à l'individu, c'est ce soi nominal qui passe d'une vie à la suivante, qui va et vient, mange et réfléchit, etc.
Entre autres propriétés, un tel soi est impermanent : il change d'instant en instant.


Il n'empêche que certains systèmes philosophiques hindouistes sont très proches de leurs homologues bouddhistes.
C'est au point, dit-on, que quand Atisha, au Tibet, a appris la mort en Inde de Shantipa, il s'est exclamé :
"Il n'y avait que lui et moi pour savoir distinguer entre les deux. Maintenant que Shantipa est mort, il n'y a plus personne en Inde !"

mardi 24 novembre 2020

Existe-t-il une réalité extérieure à l'observateur ?

 Toujours dans le cadre du partage, un grand merci à D. B. qui m'a envoyé ce lien, 

https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/la-methode-scientifique-emission-du-mardi-17-novembre-2020

Thème

La théorie quantique est-elle compatible avec l’existence d’une réalité objective, indépendante de l’observateur ? Quel est le problème entre la mesure et la réalité ? Comment la mesure de l’observateur influe-t-elle sur la réalité ? La réalité existe-elle en dehors de l’observation ?

 


vendredi 27 mars 2020

Vacuité et interdépendance (selon prasangika)

Un commentaire du Ratnavali de Nagarjuna souligne l'importance de parvenir à comprendre dans le cadre des bases  la complémentarité de la vacuité et de l'interdépendance, qui ne sont pas opposées comme peuvent l'être les touchers respectivement chaud et froid, mais sont associées en ce sens que l'une entraîne l'autre et réciproquement.
Pourquoi ? 
Parce que faute de comprendre leur complémentarité, il est impossible de bien comprendre dans le cadre des voies les deux accumulations, et dans le cadre des résultats les deux Corps.

Pour rappel (ou pour information), les différents systèmes philosophiques du bouddhisme sont présentés au travers d'un même plan ternaire :
1) Les bases : définitions des notions générales et des classifications telles qu'admises, par exemple les deux vérités, les 5 agrégats, l'esprit et les perceptions, l'individu, le temps (présent, passé, futur), etc., etc.
2) Les voies : description et définitions des étapes de la voie, notamment les 5 chemins et leurs subdivisions, éventuellement les 10 terres, etc.
3) Les résultats : libération, nirvana, éveil, etc. 

Selon le système prasangika, le vide de nature en soi (vérité ultime) et le fait d'être imputé en dépendance d'un support (vérité conventionnelle) sont donc des propriétés non pas opposés mais complémentaires de tout existant.

Comprendre le plan conventionnel revient à comprendre l'interdépendance et entraîne l'observance de l'éthique (au sens large), et donc l'accumulation de mérites
Comprendre le plan ultime revient à comprendre le non-soi et permet l'accumulation de sagesse.

L'union et le parachèvement des deux accumulations (mérites et sagesse) génère l'état de Bouddha, qui peut se décrire (entre autres) comme la réalisation des deux Corps (aspects, facettes)  : 
- "Corps de la loi" / Dharmakaya, qui procède de l'accumulation de sagesse,
- "Corps de la forme" / Rupakaya, qui procède de l'accumulation de mérites.




 

dimanche 15 mars 2020

Les deux vérités Emission Sagesses Bouddhistes

Réalisation : Claude Darmon 
Présentation : Sandrine Colombo

Emission du 8 mars 2020


Emission du 15 mars 2020


vendredi 14 février 2020

Saint-Valentin : célébration de l'amour ou de l'attachement ?

14 février, jour faste pour les fleuristes. Je m'en réjouis pour eux, en tout cas pour les victimes collatérales des grèves en danger de dépôt de bilan.

Eh oui, le moindre acte de l'un peut avoir des effets sur la vie de l'autre.
Cf. le battement d'aile du papillon.
Cf. Atisha soulignant que, pour pouvoir vraiment aider autrui, il faut au moins réaliser la clairvoyance, dans l'attente de l'omniscience.

Fi des digressions. Venons-en au plat du jour, l'attachement et l'amour.
Je ne reviendrai pas sur les origines de la tradition de la Saint-Valentin. Trop compliqué, et pas le sujet, qui est une petite méditation analytique à propos des deux phénomènes conventionnels, ou encore nominaux, que sont l'attachement et l'amour.

Pour rappel, si on en croit les philosophes madhyamika prasangika, rien de ce qui existe n'existe en soi. Tout existant présente deux niveaux, ou encore deux modes, d'existence :
un niveau ultime : le fait d'être vide de réalité autosuffisante,
un niveau conventionnel : le fait d'être une convention, établie en dépendance de son mode d'être ultime ainsi que de divers existants (pas n'importe lesquels néanmoins) tout autant conventionnels.

Comment comprendre que l'attachement et l'amour sont de simples phénomènes nominaux ?

1) Un premier point à noter est le fait qu'il s'avère indispensable de tout d'abord s'entendre sur des définitions. Sinon, on va discuter des heures durant sur la base de malentendus. D'où des dialogues de sourds, comme on dit, si fréquent en ce bas monde.
Rappelons donc que, dans le cadre du bouddhisme, par convention,

     * on appelle amour l'attitude mentale consistant à souhaiter le bien et le bonheur de l'objet concerné (toujours des êtres animés), de manière désintéressée, sans rien attendre en retour.
Exemples : l'amour maternel, l'amour du Bouddha ou de Jésus envers les êtres, etc.
Effets entraînés : bonheur et sérénité

     * on appelle attachement l'attitude mentale consistant à convoiter l'objet concerné (êtres animés ou objets inanimés) et à le vouloir pour soi, pour son propre plaisir.
Exemples : attachement pour un partenaire ; pour un rang ou un poste ; pour une voiture, une coiffure, etc. ; pour sa réputation et son image.
Effets entraînés :
                    - dans l'immédiat : apparent plaisir mais dénué de calme, plutôt associé à de l'inquiétude (+ jalousie, avarice, orgueil, etc.) ;
                     - à court et long termes : souffrances

2) Un autre indice que l'attachement et l'amour sont de simples phénomènes nominaux : ils sont variables, et ils dépendent de toutes sortes de facteurs, dont les objets pris en compte ou encore la manière d'envisager ces objets.

* Les faits divers démontrent que l'amour maternel n'est pas une réalité absolue.
Si l'amour maternel était autosubstantiel, toute mère l'éprouverait de manière inhérente, et sans exception. Les trop nombreux infanticides nous prouvent que ce n'est pas le cas !

* De même, l'attachement, s'il était autosubstantiel, dans la mesure où il existe en notre esprit, nous devrions l'éprouver dès la conception jusqu'à la mort, sans un instant de répit. Il devrait d'ailleurs se manifester continuellement, quels que soient les objets entrant dans notre champ de perception.
Or, ce n'est pas non plus le cas. Heureusement pour nous. Nous pouvons en remercier notre mode d'être ultime.

Plus prosaïquement, il est flagrant que la manifestation de l'attachement en notre esprit est tributaire de nombreux éléments. Comme vous connaissez sans doute les conditions énumérées par Vasubandhu et Asanga, je ne vais pas les répéter ici.
Au quotidien, nous avons tous pu faire l'expérience qu'un mets qui nous semble appétissant quand nous sommes en pleine forme, peut nous donner la nausée quand nous sommes malades. Nos goûts, c'est-à-dire nos attachements, alimentaires varient sensiblement au fil des années. Bébés, nous trépignons d'impatience à la vue du biberon ou de la bouillie, et quelques mois ou années plus tard, nous refusons  catégoriquement d'avaler ça. Enfants, nous recrachons les épinards ou les lentilles, dont nous raffolons (peut-être) à l'âge dit adulte, etc., etc.

Un autre exemple, qu'il serait inexcusable de ne pas citer aujourd'hui : vis-à-vis d'une seule et même personne, ne nous arrive-t-il pas de passer de "l'amour fou", c'est-à-dire de l'attachement exacerbé, à l'indifférence, et parfois à l'aversion ?

Il peut aussi nous arriver de glisser de l'amour authentique, par exemple l'amour maternel, à l'attachement : volonté (qui peut être inconsciente)  de garder son enfant pour soi, de se réaliser au travers de lui, etc.
L'inverse est heureusement vrai : nous pourrions passer de l'attachement à l'amour.

Attention ! Il ne s'agit pas de transmuer l'attachement en amour, mais de remplacer l'attachement par l'amour.
Autrement dit, il faut éliminer l'un pour laisser la place à l'autre.

Pour ce faire, des méthodes existent.
Il faut et il suffit d'étudier les Enseignements du Bouddha et de les appliquer. Il faut faire les deux. Comme dans l'exemple de l'oiseau qui a besoin de ses deux ailes pour voler.
La seule connaissance intellectuelle, pour importante qu'elle soit, ne suffit pas.





mercredi 12 février 2020

Les deux vérités, conventionnelle et ultime

ཀུན་རྫོབ་བདེན་པ་ saṃvṛti-satya -  དོན་དམ་བདེན་པ  paramārtha-satya


Par définition, les deux vérités ne concernent que ce qui existe.
D’où le terme བདེན་པ satya : « vérité », ou encore « réalité ».
Cela exclut ce qui n’existe pas du tout, ni de manière ultime, ni de manière conventionnelle.

Sur ce point, tous les philosophes bouddhistes sont unanimes, même si leurs définitions et découpages peuvent sinon varier.

Pour la suite, par souci de clarté, je précise que je vais ici me fonder sur les vues philosophiques madhyamika, et plus particulièrement madhyamika prasangika.

Observer ce qui existe sous l’angle des deux vérités a pour finalité d’établir le mode d’être de ce qui existe.

Vérité ultime désigne le mode d’être véritable de l’objet observé, c’est-à-dire selon les philosophes madhyamika, le fait que cet objet n’existe pas "réellement", autrement dit n'existe pas en soi.

Vérité conventionelle désigne le mode d’être apparent. L'objet  existe mais en dépendance.
Selon sa nature, composée ou non, tout objet dépend en effet de ses causes et conditions, ou au moins de sa dénomination.

Par exemple, ce blog ne s'est pas auto-généré, et il ne s'autogère pas non plus. Il dépend du support numérique, de l'ordinateur utilisé, des auteurs, des articles, des lecteurs, etc. Il possède donc deux niveaux d'existence, deux "vérités" (ou encore sortes de réalité) : son mode d'existence ultime est de ne pas se suffire à lui à lui-même, et donc d'être vide d'une quelconque réalité propre : c'est ce qu'on appelle le non-soi du blog, ou encore la vacuité du blog.
 

ཀུན་རྫོབ་ En tibétain, le mot que je rends par "conventionnel", et que d’autres traduisent par "relatif", signifie littéralement « mensonger ».

Qu’est-ce que la vérité conventionnelle par exemple de notre planète Terre ? C’est la planète apparente. La Terre nous apparaît d’une manière mensongère, mais pas radicalement erronée : indiscutablement, notre planète Terre existe (pour le moment), et elle nous rend bien service !  Elle nous fournit un cadre de vie confortable et généreux.
Mais contrairement aux apparences, elle n’existe pas ultimement. Les apparences sont mensongères en ce sens que nous avons l’impression que l'existence de la Terre va de soi, et nous nous imaginons qu'elle existe en soi. C’est là une grave erreur de notre part. Car la Terre est comme nous : elle dépend de causes et de conditions. Elle est née, elle a une certaine durée d’existence – qui n’est pas fixe – et un jour elle disparaîtra. Comme n’importe quel phénomène composé.
Or, à force de modifier les conditions, en polluant le sol et les eaux, en saccageant la flore, en massacrant la faune, nous risquons de la rendre invivable, et peut-être de provoquer prématurément sa disparition. Et en même temps la nôtre.

C’est pour cela qu’il serait important de mieux réfléchir aux choses en tant que vérités conventionnelles.
Nous le faisons bien sûr, mais nous aurions tout intérêt à continuer à creuser.
A ce jour, l'observation des vérités conventionnelles a quand même déjà permis de faire pas mal de découvertes, sur les plans technique ou scientifiques. 
Par exemple, nous vivons sur la terre, nous nous y déplaçons, nous y vivons, et cela nous semble aller de soi, c’est-à-dire cela nous semble exister en soi. Or, la gravitation ne va pas de soi et n’existe pas en soi.  Le Bouddha l’a énoncé il y a environ deux mille cinq cents ans et en Occident les scientifiques ont fini par l’admettre à leur tour. Les travaux de Newton ont permis d’envoyer des hommes sur la lune, et ceux d’Einstein de passer de la notion de force à celle d’interaction.
Or, qui dit interaction dit interdépendance. Et qui dit interdépendance dit absence de nature propre, et donc vacuité. Vacuité au sens de vide d’existence en soi, de réalité en soi.

D’un autre côté, qui dit interaction dit aussi la nécessité de l’existence des phénomènes susceptibles d'interagir. D’où l’importance de favoriser et développer les phénomènes
pouvant avoir des effets bénéfiques, ou simplement utiles, dont l'amour, la compassion, la sagesse. Inversement, mieux vaudrait neutraliser, et même annihiler les phénomènes nocifs, tels que l'attachement, l'aversion, l'ignorance. Cela a toujours été souhaitable, et il semble que cela devienne urgent, et même vital.

Par exemple, sur le plan matériel, nous ne pouvons plus nous contenter de faire plancher les adolescents sur le sujet « L’eau c’est la vie » dans le cadre d’un simple devoir de philosophie. Il vaudrait mieux que chacun y réfléchisse et en tienne compte, mais dès la prime enfance, et jusqu’à la fin de sa vie. Quand nous arriverons à dépasser la connaissance intellectuelle et aurons pris conscience de ce que représente l'eau pour notre vie (et "accessoirement" celle des autres), nous ne pourrons plus que nous abstenir de gaspiller l'eau et la polluer.

Autrement dit, observer ce qui existe sous l’angle de vérités conventionnelles, peut nous permettre de comprendre que l’existence est par définition interdépendante, ce qui en principe doit au moins nous amener à des conduites plus éthiques.

Tant qu’en dépit des avertissements des scientifiques, nous continuerons à croire que les océans existent en soi, nous continuerons à les polluer en toute insouciance. Tant que nous croirons que la faune et la flore existent en soi, nous continuerons à massacrer et dévaster.
En revanche, quand nous réaliserons que nous dépendons de la planète, que nous dépendons des réserves d’eau, que nous dépendons des abeilles et des plantes, nous devrions devenir plus respectueux de l’environnement, des autres êtres et aussi de nous-mêmes.
Par exemple, alors qu’il est évident que notre santé et notre vie dépendent étroitement de notre alimentation, nous achetons à prix fort des aliments qui sont de véritables poisons bourrés de mercure, de sucre, de graisse et d’OGM. Pourquoi ?
À un niveau superficiel, nous agissons ainsi par attachement au court terme, au plaisir immédiat, et aussi par égoïsme.
Si nous poursuivons notre enquête, nous allons découvrir qu'en amont, la source première de nos erreurs, et de leurs conséquences, est l'ignorance qui nous aveugle, nous empêchant de prendre conscience que nous sommes certes des « réalités » mais « conventionnelles », pas absolues, pas autosuffisantes. Loin d'être des entités indépendantes, capables de vivre isolément par nous-mêmes, nous sommes des réalités conventionnelles qui dépendent des autres réalités conventionnelles. Ce n'est pas un défaut, mais une manière d'être, et même la seule manière d'être : rien n'est absolu. Résignons-nous à cette évidence, et tirons-en des conclusions.
De toute façon, dans l'hypothèse où existerait quelque chose d'absolu, il serait isolé. Par définition, ce serait sans lien avec quoi que ce soit d'autre que lui. Ce qui signifie que cela ne pourrait être ni perçu, ni nommé, et ne pourrait pas avoir d'effet - faute de pouvoir entrer en interaction.

Comprendre la notion de vérité conventionnelle ne suffit pas pour obtenir la libération du samsara, mais cela y contribue.
Même si la vérité conventionnelle se cantonne au mode apparent des choses, mieux nous la comprendrons, mieux nous irons. Car sa compréhension nous permettrait de comprendre la causalité, les interactions, et comme nous l’avons déjà vu, cela nous mènerait à l’éthique. Or, l’éthique est nécessaire pour l’ordre public, la paix sociale, l’harmonie. Comme l'énonce Nagarjuna dans Le Ratnavali : De l'éthique procède le bonheur.

Une fois que nous aurons bien compris que toute vérité conventionnelle suppose un mode d'existence interdépendant, il nous suffira d'en déduire le vide de toute existence indépendante, et nous aurons compris la vacuité. Nous aurons alors obtenu notre sésame pour la cité de la libération !

mercredi 29 janvier 2020

Les deux vérités satyadvaya

Les notions "deux vérités" (ou "réalités") semblent complexes, d'autant plus qu'elles sont l'objet de définitions sensiblement différentes de la part de chaque système philosophique bouddhiste - ce qui démontre déjà qu'il ne faudrait surtout pas les ériger en "Vérité absolue". 

(NB Il ne faudrait pas non plus les réduire aux deux niveaux de concrétude et abstraction.)



Du point de vue madhymika prasangika, tout objet présente deux plans, ou encore deux modes d'existence, qui correspondent respectivement à l'apparence et à l'essence.
Quand on parle de "vérité (réalité ) conventionnelle", cela qualifie l'objet pris en compte sous l'angle relatif (dépendant de causes et conditions, ou encore de sa dénomination, etc.). 

"Vérité ultime" (non-soi, vacuité) qualifie l'objet (quel qu'il soit, vacuité y compris) sous l'angle qu'il est dénué d’existence réelle, ou encore d’existence en soi. C’est le même champ sémantique que l’interdépendance, mais envisagé sous l’angle négatif, non de ce qu'est l'objet est, mais de ce qu’il n’est pas. 


Les madhyamika prasangika disent donc que, par rapport à un quelconque objet (qu'il soit impermanent ou permanent), les deux vérités sont de "même nature", mais de "pôles négatifs" (approches par élimination, un peu comme -(-a) => a) distincts. 


Comprendre la vérité conventionnelle revient à comprendre les mécanismes de causalité et plus largement d'interdépendance, et ainsi d'accéder à la compréhension de la vérité ultime.
Or, comprendre la vérité ultime permet l'obtenir la libération du samsara. 

mercredi 18 décembre 2019

C'est quoi, le bouddhisme ? / 2


Particularités
Le bouddhisme n’est pas une religion révélée.
Il ne se réfère pas à un (ou des) Dieu(x) créateur(s).
L’aspect religion
Le bouddhisme est-il une religion ?          Oui, atypique, religion néanmoins :

Le bouddhisme traite de toutes les grandes questions métaphysiques - vie et mort, l'au-delà de la mort, le sacré et le profane et l'individu.
Voie de libération, il propose un large éventail de « pratiques», qui vont de la méditation au rituel en passant par l'étude ou le don.
Il est composé de communautés religieuses, hiérarchisées en fonction du niveau des vœux et engagements pris.
La transmission se fait oralement, de personne à personne, de maître à disciple.
Tout maître doit être dépositaire d'une lignée ininterrompue depuis le Bouddha.
L’aspect philosophique
Quatre systèmes principaux :
Vaibhashika : “particularistes”
Sautrantika   : “tenants des soutras”
Cittamatra     : “idéalistes”
Madhyamika : “ voie du milieu”
Quelques notions importantes
* “Réincarnation”, ou disons « passage d’une vie à une autre »
-> la mort est juste une étape, qui marque la fin d’une certaine vie. Elle est cependant importante, car elle joue un rôle déterminant pour la prochaine naissance
 * Loi de causalité : les karmas et leurs résultats
tout ce que nous faisons, disons et surtout pensons, laisse en nous des potentialités, qui connotent et déterminent nos expériences ultérieures.

* Dignité de tout être animé, susceptible d’évoluer jusqu’à atteindre l’éveil.

mercredi 20 novembre 2019

Bouddhisme au Tibet



Les écoles “tibétaines”


A noter

L’expression “bouddhisme tibétain”, bien que commode, est impropre :
·      le bouddhisme diffusé au Tibet a été  importé de l’Inde, par des Indiens, des Népalais et des Tibétains.
·      les écoles tibétaines, toutes issues de lignées indiennes, se sont largement répandues en dehors des frontières tibétaines, autrefois dans les pays voisins : Mongolie,  Chine, Népal, Bhoutan, plus récemment un peu partout dans le monde.

Points communs
·      Branche mahāyāna vajrayana :       véhicule adamantin (cad du diamant) fondé sur le véhcule des perfections (paramita : générosité, éthique, patience, enthousiasme, concentration, sagesse).
·      Vues philosophiques : Madhyamika :  “voie du milieu” (yogacara svatantrika ou prasangika)
·      Vinaya : Mūlasarvāstivāda (NB la lignée d’ordination majeure féminine (bhikshuni) n’a jamais été importée au Tibet et suite à son interruption en Inde, elle n’existe plus depuis environ mille ans)

jeudi 24 janvier 2019

Des perceptions et des karmas

 De manière générale, nous ne connaissons des êtres et des choses que les perceptions que nous  avons d'eux, lesquelles perceptions sont fortement conditionnées par nos karmas, plus précisément ceux qui viennent alors à maturité.
C'est bien pour cela que les cittamatrin nient toute réalité extérieure à l'individu qui perçoit !

Sans aller  jusque là, les madhyamika prasangika admettent qu'il existe des objets à l'extérieur de nous, les sujets percevant, mais aussi que nous ne savons pas grand chose d'eux, puisque nos perceptions sont fortement conditionnées par nos propres karmas.
Les perceptions que deux personnes ont d'un même objet comportent une frange commune - conditionnée par l'objet mais aussi par le support physique (organes des sens, etc.) - et une (grande) partie personnelle, conditionnée par leurs karmas.
Autrement dit, la frange commune est plus grande entre des êtres d'une même espèce, par exemple deux humains, qu'entre êtres d'espèces différentes, par exemple un humain et un cheval.