vendredi 26 novembre 2010

Courant de conscience

Bruno a dit
Une question qui paraitra probablement candide, et d'une vision encore bien brouillée.
Je n'arrive pas à comprendre comment existe un "courant de conscience" qui parait intrinsèque puisque si je comprends bien 'il est "toujours" là, et "passe" dans chaque existence, or c'est un phénomène "composé" ... entre autres par les fameuses "empreintes" que je visualise comme des "habitudes", des "aiguillages" ou des "plis" qui se créent, produisent des effets, d'autres empreintes et disparaissent le moment venu, remplacées par d'autres. Comment cet élément composé et donc impermanent (si j'ai bien compris) peut en même temps "stable" pour "passer" d'une vie à une autre ou "générer" des existences une après l'autre ? ou "alors quel élément impermanent" transmigre ?

Bienvenue parmi nous, Cher Bruno.

Merci de votre question qui porte sur un point très important.

Le courant de conscience est-il ou non intrinsèque ?
Les réponses vont varier en fonction des systèmes philosophiques bouddhistes, et des définitions qu'elles accorderont à ce terme.
Selon l'école madhyamika, en dépit des apprences, le courant de conscience n'est pas intrinsèque.
D'ailleurs, aucun existant n'est intrinsèque, cat tous sont dépendants, au minimum de la perception qui les appréhende ou encore de la dénomination qui leur est attribuée.
Les phénomènes composés sont de plus dépendants de leurs causes et conditions,de leurs parties, etc., etc.

Oui, il est dit que c'est le courant de conscience qui passe d'une vie à l'autre.
Comme comme son nom l'indique, il s'agit d'un continuum, et ce continuum n'est en aucun cas figé : à chaque instant, il est différent.
Le continuum de l'instant d n'existe ainsi qu'à l'instant d. Il est né du continuum de l'instant c, et il génère le continum de l'instant e.
En ce qui concerne les empreintes qu'il véhicule, elles sont tout sauf statiques :
toute empreinte un fois accumulée dans la conscience mentale se développe d'instant en instant, jusquà produire ses effets, sauf si elle est affaiblie ou neutralisée par des forces contraires.

Comme notre activité mentale ne cesse jamais, même durant la claire lumière claire, il s'ensuit qu'à chaque instant de nouvelles empreintes sont engrangées, qu'à chaque instant les empreintes en attente se modifient - croissant ou décroissant selon le contexte vertueux, non vertueux ou neutre, qu'à chaque instant des empreintes produisent des effets - multiples et divers.

Comment notre courant peut-il passe d'une vie à une autre ?
Pour les mêmes raisons et de la même manière qu'il passe d'un instant à l'autre depuis notre conception jusqu'à notre mort.
La mort n'a rien de si extraordinaire, ni d'anormal.
Elle correspond à une phase naturelle et inévitable, consécutive à la prise d'un support physique lors de la conception.
Par la force des choses (propriétés des éléments), tout support physique, par définition impermanent, subit une usure jusqu'à un jour devenir inutilisable. Le courant de conscience le quitte alors et va se chercher un nouveau support physique. S'il l'a "sous la main", il n'a même pas besoin de passer par le bardo.
C'est tout.

Quant à ce que vous avez appelé "stabilité", il s'agit de la "continuité" - dont nous faisons l'expérience à chaque moment de notre vie.

C'est grâce à cette continuité que le soir nous pouvons nous rappeler (plus ou moins bien en fonction de notre mémoire) ce que nous avons fait le matin , ou encore que nous ruminons une rancune déclenchée par une irritation antérieure, ou que nous entretenons un attachement généré par une perception visuelle, ou tactile, ou autre. Etc.

Notez que tout phénomène composé se situe dans un continuum :
l'esprit -> continuum mental
le corps -> continuum physique (c'est pour cela que, vieux, on ressent parfois des douleurs à des endroits meurtris dans la jeunesse, etc.

Est-ce un peu plus clair ?

6 commentaires:

  1. Merci beaucoup Chère Marie-Stella pour votre accueil et votre réponse, j'en suis très vraiment heureux. En soit elle est certainement très claire mais je crains que ce ne soit "mon" esprit (du fameux "je" non intrinsèque) qui ne soit encore , hélas, pas mal embrouillé. Je vais essayer de prendre le temps de la re-re-lire et la méditer ,ainsi que les vos autres échanges d'ailleurs.

    Cependant quand vous dites : "Oui, il est dit que c'est le courant de conscience qui passe d'une vie à l'autre. Comme son nom l'indique, il s'agit d'un continuum, et ce continuum n'est en aucun cas figé : à chaque instant, il est différent. Le continuum de l'instant d n'existe ainsi qu'à l'instant d. Il est né du continuum de l'instant c, et il génère le continum de l'instant e."

    Je crois bien comprendre alors que "l'individu" , celui dont la base d'imputation est ce courant de conscience, n'est forcément qu'une vue relative et non intrinsèque, comme une étiquette posée sur un phénomène impermanent qui change d'instant en instant,
    est ce juste ?

    Dans ce cas ce n'est pas "notre" courant de conscience (par exemple celui de " l'individu Bruno" ) qui passera dans une autre existence mais plutot "un" courant de conscience impermanent (qui change d'instant en instant et par perception relative est vu comme l' "individu Bruno" dans cette existence, étiquette collée par convention), qui génèrera un tout autre individu dans l'existence suivante.

    Etes vous d'accord ou est ce une vue erronée de ma part ?

    Vous dites ensuite " Par la force des choses (propriétés des éléments), tout support physique, par définition impermanent, subit une usure jusqu'à un jour devenir inutilisable. Le courant de conscience le quitte alors et va se chercher un nouveau support physique. S'il l'a "sous la main", il n'a même pas besoin de passer par le bardo." ,

    je suis incorrigible mais il me semble alors, que ce courant de conscience qui quitte le corps - et bien qu'il soit un phénomène composé et impermanent qui change à chaque instant- paraît "agir" comme une entité autonome qui existe "toujours", prenant une forme dans le bardo , ou bien telle existence et une autre forme dans telle autre existence.

    Ou bien comme à chaque instant il est différent, alors le courant de conscience prenant forme dans l'existence A "n'est plus" le même courant de conscience lorsqu'il prend forme dans l'existence B suivante.
    Mais dans ce cas , quid du continuum mental , comment s'est-il maintenu en tant que continuité individuelle ?

    Ce n'est pas trop confus , je ne vais pas trop chercher midi à 14h en me compliquant les choses ?

    RépondreSupprimer
  2. Oui, l'individu est également un phénomène relatif (pas seulement une vue) et non intrinsèque.

    Vous dites que "le courant de conscience (= continuum mental) prenant forme dans l'existence A "n'est plus" le même courant de conscience lorsqu'il prend forme dans l'existence B suivante."

    J'ai cru comprendre que tout courant de conscience (= continuum mental) qui passe d'une vie A à une vie B, n'est certainement plus exactement le même (il se transforme d'un instant à l'autre), mais il n'est pas non plus totalement "distinct".

    D'accord, le nom accolé sera sans doute différent mais au cours d'une seule et même vie, nous changeons souvent de dénomination sans pour autant devenir quelqu'un d'autre.
    Commençons par réfléchir aux transformations qui se produisent au cours d'une vie, entre la conception et la mort. Il devient ensuite plus facile de concevoir comment ça se peut se prolonger après la mort, qui est sans doute un changement assez puissant, mais pas une rupture dans la chaîne de l'individu concerné.

    RépondreSupprimer
  3. D'accord, en effet en voyant sur une seule et même vie, le courant de conscience change d'instant en instant et la dénomination change dans les étapes de la vie et selon les activités, mais sans pour autant bien sur que la chaîne de l’individu soit rompue.
    Continuellement et sans en avoir conscience, ou alors seulement en "regardant en arrière", le nom ou la dénomination accolés diffèrent selon l'environnement, l'age, la situation physique ou mentale, l'activité.
    Malgré cela il y a continuité d'une individualité, c'est indiscutable, évidemment.
    "Commençons par réfléchir aux transformations qui se produisent au cours d'une vie, entre la conception et la mort. Il devient ensuite plus facile de concevoir comment ça se peut se prolonger après la mort, qui est sans doute un changement assez puissant, mais pas une rupture dans la chaîne de l'individu concerné."
    D'accord , merci beaucoup pour cet angle de vue et base de réflexion.

    RépondreSupprimer
  4. J'ai une question qui me travaille en ce moment...

    Un Boddhisattva très avancé (un arhat ?) réalise la vacuité. Il perçoit très clairement que son propre esprit est vacuité, au bout de son chemin de transformation...

    Pour autant est-ce "une vacuité" ou "la vacuité" ? S'agit-il de "lui" qui réalise cette vacuité, "fruit" de "ce chemin", et donc qui perçoit "une" causalité, ou bien est-ce "la" réalisation indépendant de "ce chemin" ?

    Si c'est "une" vacuité, "une" réalisation, le fruit de "ce" chemin, alors je je perçois pas comment cette vacuité là, interdépendante, pourrait-être immuable... N'est-elle pas soumise à l'interdépendance, donc instable ?

    Il me semble qu'alors "revenir" soit toujours un passage forcé, qu'on ne peut pas "rester", et qu'on ne "choisit pas" non plus de revenir.

    Où est alors la libération ? C'est décourageant...

    RépondreSupprimer
  5. Suite au bug concernant les commentaires, voici de nouveau ma question Marie-Stella :
    Mon esprit patine à concevoir que le continuum mental n'a ni début ni fin.
    Et ce, d'autant que la loi de causalité incite à conclure qu'à toute cause, un effet.
    Alors, pourquoi n'y aurait-il pas une toute première cause au continuum mental ?
    Cette notion de continuum mental sans commencement ni fin est assez vertigineuse en soi !
    Merci pour votre aide.

    RépondreSupprimer
  6. Voir cet article : http://anecdotesbouddhistes.blogspot.fr/2016/01/ni-debut-ni-fin.html

    RépondreSupprimer