jeudi 31 janvier 2008

La prise de refuge

Comment se définit un bouddhiste ?
Comme quelqu'un qui "a pris refuge" en les Trois Joyaux que sont le Bouddha, le Dharma et les Sangha, c'est-à-dire qui a placé toute sa confiance en eux et s'est mis sous leur protection.

Demander aide et protection aux Trois Joyaux suffit-il ?
Certes non ! Il faut aussi (et surtout ?) appliquer ce qu'ils préconisent.

Qu'entraîne une prise de refuge digne de ce nom ?
De respecter la loi de causalité, en s'abstenant de ce qui est à rejeter et en accomplissant ce qu'il faut mettre en oeuvre (spang slang).

Y a-t-il des préceptes à suivre ?
Oui. Leur teneur revient au principe ci-dessus, mais on peut ensuite entrer dans plus de détail en parlant de six préceptes, ou de deux catégories de précptes, etc.
Par exemple, il est spécifié qu'une fois qu'on a pris refuge, il faut se garder de renier ou d'abandonner les Trois Joyaux, fût-ce au prix de la vie ou ne serait-ce qu'à titre de plaisanterie.
Ca a l'air simple et logique, mais à bien y réfléchir, c'est loin de l'être...

Pour prendre un exemple, que désigne le Joyau des Sangha, en lequel tout bouddhiste a accordé sa pleine confiance en tant qu'exemples et modèles à suivre ?
Sur le plan ultime, il s'agit des arya, c'est-à-dire de ceux qui ont obtenu la compréhension directe du non-soi, ou de la vacuité. Mais allez savoir qui est arya et qui ne l'est pas ? Du moins si vous-mêmes ne l'êtes pas, comme c'est mon cas personnel.
Sur le plan conventionnel, il y a Sangha dès la réunion de quatre bhikshu, moines ayant reçu l'ordination majeure. Même en deçà, il est précisé dans les préceptes d'application qu'il convient de manifester le respect dû au Sangha à toute personne qui porterait l'habit religieux, et ce même si son éthique laisse à désirer...

mercredi 30 janvier 2008

A ne surtout pas faire !

Ce n'est pas tout de prétendre pratiquer le bouddhisme, qui plus est, selon le grand véhicule, et de prendre force voeux et engagements.

Il faut (en principe) appliquer les instructions transmise par la lignée des Maîtres depuis le Bouddha Shakyamouni, et observer "scrupuleusement" les engagements qu'après tout on a pris librement, sans être forcé par qui que ce soit.

Ainsi nombreux sommes-nous à avoir pris les voeux de bodhisattva - pour le bien des êtres, avons-nous dit et répété. De tous les êtres.
Entre autres fautes à ne pas commettre désormais, il faut surtout prendre soin à ne jamais rejeter qui que ce soit pour l'éternité.

Quand nous constaterions qu'Untel reste imperméable à nos conseils bienveillants, ou plus simplement lorsque nous serions par trop agacés par les méconduites de x ou y, nous pourrions nous permettre de nous dire que, momentanément, nous cessons d'essayer de l'aider. Parce que cela dépasse nos forces actuelles ou que manifestement il n'est pas mûr pour évoluer dans le bon sens. En ce cas, nous ne brisons pas nos voeux.

En revanche, si nous laissons aller jusqu'à même pas dire mais seulement penser : "Celui-là, jamais je ne ferai plus rien pour lui. C'est fini entre nous.", c'en est en tout cas fini de nos voeux de bodhisattva... Une telle pensée, même fulgurante, suffit à les balayer, à les anéantir.

En d'autres termes, même si nous estimons (à tort ou à raison) que des individus sont peu recommandables, ce n'est pas un argument valable pour nous détourner d'eux. Au contraire : normalement, nous devrions avoir d'autant plus de compassion pour eux. A la limite, nous pouvons prendre du champ pour un temps, mais si j'ai bien compris les explications d'Asanga (Cf. Bodhisattvabhumi), en aucun temps, nous ne devrions faire des "contre-voeux" du genre : "Au cours de toutes mes vies, je ne veux plus entretenir la moindre relation avec Untel ou Untel, ni sur le plan profane, ni sur le plan spirituel."

De toute façon, un tel programme serait difficile à tenir, à l'éclairage de la loi de causalité... Et un bouddhiste n'est-il pas censé s'efforcer d'être réaliste et de tenir compte justement de la loi de causalité ?

Le Dharma ? Pas si facile !

Quand et comment débute la pratique du Dharma ?
La question a souvent été posée et débattue, et les réponses apportées peuvent varier, ne serait-ce que pour des raisons pédagogiques - les Maîtres se faisant un devoir d'adapter leurs explications à leurs interlocuteurs.

Cependant, de très grands Maîtres s'accordent à dire que la pratique commence quand on dépasse l'intérêt exclusif pour la vie présente.
"Défais-toi de tout attachement pour cette vie !", conseille Dromtöpa / Tshe 'di blos thongs. A l'unisson, les hiérarques sakyapa enseignent le "rejet des quatre attachements" (zhen pa bzhi brel) dont le premier énoncé (sévère) n'est autre que tshe 'di la zhen na chos pa min - "Qui demeure attaché à cette vie n'est point un pratiquant."

Un tel critère pose question à celui, ou à celle, qui (comme moi) se voudrait bouddhiste...
Cela suppose-t-il de ne plus du tout se soucier des contingences de cette vie - manger, boire, dormir, etc. ?

Non. Car le bouddhisme est une voie on ne peut plus réaliste. Il constate que la condition humaine est plus favorable que d'autres types de naissance, animales par exemple, et prône donc d'en prendre soin. Pour pouvoir en tirer parti le plus longtemps possible, en vue de prendre la maîtrise de soi et d'atteindre l'éveil.

Non, ce que récuse le bouddhisme, c'est l'attachement, et non l'objet de l'attachement. Ici la vie présente, mais c'est tout aussi vrai pour n'importe quoi d'autre : une personne, l'argent, le pouvoir, etc.

Maintenant, il nous reste à effectuer un petit examen de conscience pour vérifier où nous en sommes.

Par exemple, moi, je me sens terriblement concernée quand je lis et relis un texte percutant du 4ème Panchen Lama, Jetsun Losang Chökyi Gyaltsen (1570-1662) intitulé en tibétain Nang gi khong skran 'don pa'i skyug sman, "Vomitif pour extirper mes tumeurs internes".
Pour donner un exemple du style, voici une des stances qui traitent de notre sujet :

"Alors que bien des années se sont écoulées depuis que je me suis engagé dans la pratique du Dharma,
Je n'ai toujours pas extirpé du fond de moi-même la tumeur de l'attachement à cette vie ;
Tel le sac en peau contenant le beurre ou la pierre dans l'eau,
Mon esprit demeure toujours aussi sec. Et j'en suis plein de remords.
Veuillez me regarder avec compassion, moi dont l'esprit n'est en rien touché par le Dharma.
Veuillez m'accorder votre bénédiction pour qu'enfin je rejette tout attrait pour cette vie."

L'univers sans limite

Un dénominateur commun à tous les bouddhistes est de pratiquer le Dharma en vue d'un mieux-être, sachant que leurs conceptions dudit mieux-être sont diverses.

Les uns ne recherchent (pour le moment) que de bonnes renaissances, en tant qu'humains ou deva. D'autres aspirent à "la libération du samsara", alias nirvana : ils veulent se mettre à jamais à l'abri de toute forme de souffrance - y compris les bonheurs ordinaires, altérables et éphémères. D'autres encore se montrent plus ambitieux : ils veulent mener au bonheur suprême et au plein Eveil tous les êtres sans exception, autrui et eux-mêmes.

Dans les traités du mahâyâna, on trouve donc des expressions du genre : "Je travaillerai au bien des êtres jusqu'à ce que le samsara soit vide."
Serait-ce que les Bouddhas et bodhisattva pourraient un jour se retrouver "au chômage", désormais désoeuvrés parce que tous les êtres seraient d'ores et déjà sortis du cycle des existences conditionnées ? Hélas non. Car les êtres sont innombrables.

Serait-ce que le samsara n'aurait pas de fin ?
Si, il a une fin, par rapport à un individu particulier, qui a toutes les potentialités nécessaires pour obtenir non seulement l'état d'arhat (personnage qui, s'étant affranchi du voile des facteurs perturbateurs, est à jamais libéré du samsara) mais même celui de Bouddha : personnage qui, ayant rejeté les deux voiles - celui des facteurs perturbateurs mais aussi celui qui fait obstacle à la connaissance -, a atteint l'Eveil suprême, caractérisé par l'Omniscience, la Grande Compassion, parfaitement impartiale envers tous les êtres souffrants, et les Pouvoirs - notamment l'Activité spontanée sitôt qu'un être est mûr pour recevoir une aide.

En revanche, en termes généraux, le samsara ne peut pas avoir de fin car les êtres sont innombrables.

Ceci est une notion difficile à concevoir et à admettre.

Une question revient toujours lors des conférences : "Puisque, selon le bouddhisme, les êtres qui s'adonnent sérieusement à la pratique finissent par obtenir le nirvana (la cessation de la souffrance), comment expliquer l'accroissement de la population humaine sur la Terre ?"
Premièrement, c'est que les humains d'aujourd'hui pouvaient errer hier dans d'autres sphères du samsara, par exemple parmi les animaux dont, chaque année, plusieurs espèces disparaissent comme chacun sait.
Deuxièmement, ajoutent les bouddhistes, c'est que les Terriens d'aujourd'hui pouvaient encore hier résider ailleurs dans l'univers, sur un eautre planète.

Le raisonnement tenu est le suivant : L'espace est infini ; il ne connaît pas de limite. Partout où s'étend l'espace, il peut y avoir des mondes. Et là où il y a des mondes, il peut y avoir de la vie. Donc, il n'y a sûrement pas que la seule planète Terre à être habitée. Nulle doute que d'autres planètes, ici ou là, abritent des êtres vivants.

Pure fantasme ou science-fiction ? L'opinion professée par les bouddhistes depuis un bon 2600 ans semble rallier de plus en plus de sympathisants.

Par exemple, "L'idée d'une multitude d'univers est plus qu'une fantastique invention. Elle apparaît naturellement dans plusieurs théories et mérite d'être prise au sérieux", écrit l'astrophysicien Aurélien Barrau dans le numéro de décembre 2007 de la revue Cern Courier de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire. "Notre univers ne serait-il qu'un îlot dérisoire au sein d'un immense +multivers+ infiniment vaste et diversifié?", si c'était vrai, cela pourrait être pour l'homme, qui s'était longtemps cru au centre du monde, "une quatrième blessure narcissique", après celles infligées "par Copernic, Darwin et Freud", poursuit-il. (Cf. Les Univers parallèles inspirent la science-fiction et intriguent les scientifiques Par Annie HAUTEFEUILLE - AFP - Samedi 29 décembre 2007)

vendredi 18 janvier 2008

Les apparences encore et toujours trompeuses

Encore une petite histoire de Takgo Rabjampa qui, sous ses dehors facétieux, était non seulement un érudit mais aussi un pratiquant plein de foi.

Tenez ! Ce jour-là, juste avant la réunion du conseil avec tous les nobles et autres dignitaires, Takgo Rabjampa vient saluer le Grand Cinquième et lui fait la requête d'un "support de foi" (dad pa'i rten). Il souhaite une chaussure usagée de son Maître, qu'il conservera précieusement comme la relique qu'elle est. Le Dalaï lama agrée à sa demande et lui remet une vieille botte.

Les pièces étant en enfilade, quand Takgo Rabjampa sort muni de son trophée, il ne peut que traverser la grande salle où sont déjà réunis les notables. Ceux-ci sont scandalisés : l'air dégoûté, et la main gauche plaquée sur le nez, Takgo Rabjampa traîne derrière lui la botte, qu'il tient à bout de bras. Comme s'il s'agissait d'un objet particulièrement malodorant.

Les dignitaires se hâtent de le dénoncer : "Vous savez ce qu'il a fait de votre botte ? Il ne faut pas lui remettre des objets aussi précieux. Il ne les mérite pas. Il n'a aucun respect !
- En êtes-vous sûrs ? rétorque le Grand Cinquième. A votre place, je vérifierais avant d'accuser."

Ils envoient donc un de leurs espion.
Le rapport est accablant (pour eux) : Takgo Rabjampa a intallé la botte en place d'honneur dans sa chambre, juste au-dessus de sa tête. Et il manifeste la plus grande vénération pour la relique qu'il détient par la grâce de son Maître.

Un vieux sage

Ce vénérable Abbé retiré de Sera Jey, grand lettré et grand méditant, aimait à ... jouer avec les petits moines du collège. Il leur racontait force histoires et anecdotes, et tous riaient de bon coeur.

Khensur Rinpoche Losang Wangchuk était une sympathique exception, car beaucoup de responsables de monastère ont plutôt tendance à morigéner la jeunesse turbulente.
"Ces vauriens détruisent l'Enseignement (du Bouddha) !", disent-ils, utilisant la formule usuelle en tibétain : bstan pa bzhig. "Il vaudrait mieux pour tout le monde qu'ils ne viennent pas aux assemblées de prières ; ils sont vraiment trop bruyants !"

Quand Khensur Rinpoche Losang Wangchuk entendait ce genre de propos, il répliquait : "Mais non, les enfants ne détruisent pas l'Enseignement, eux ! Ils jouent, et puis c'est tout !"

mercredi 16 janvier 2008

Vietnam, terre bouddhique

le Bouddhisme* a été présent sur le territoire vietnamien dès le IIIème siècle de l'ère chrétienne. Il s'agit donc d'une de ses plus anciennes implantations. Dont on ne parle pourtant guère. D'où ces quelques lignes.

Comme souvent, la nouvelle école de pensée est arrivée avec les commerçants, en l'occurrence par les voies commerciales entre l'Inde et l'empire romain, 300 ans avant Boddhidharma en Chine !
Le premier patriarche s'appelle Khuong Tang Hoi (Kang Seng Hui en chinois) ; il est de père indien et de mère vietnamienne. Il a été invité par l'Empereur chinois Wu car il est grandement respecté par les cénacles lettré et spirituel tant chinois que vietnamien : en cette période troublée de l'ère des Trois Royaumes, les intellectuels ont fui les combats et ont trouvé refuge dans la province du sud de l'Empire, le Giao Chau (l'actuel Nord Vietnam) - de fait, le Vietnam est resté sous domination chinoise pendant 1000 ans (de -111 av. JC à +939 après JC).

(Ouvrage de référence : Maître Tang Hôi, Thich Nhât Hanh, Ed. Sully)

* Merci à Minh Tri de m'avoir fourni ces informations, précieuses et trop peu connues.

Mes débuts en traduction...

Aujourd'hui, quelques "souvenirs d'enfance", puisque nous sommes mercredi - de mon temps, le jour des enfants, c'était le jeudi, mais il faut savoir s'adapter - paraît-il.

Bref, remontons au printemps 1978. J'en suis à ma cinquième année de tibétain aux Langues'O (où il n'y a encore que trois niveaux, mais nombreux sont les étudiants mordus qui recommencent allégrement la troisième année plusieurs fois de suite, au grand dam des nouvelles recrues - qui, après avoir honni ces importuns d'anciens, les imitent sans plus barguigner).

Si Rinpoche se refuse encore à dispenser des Enseignements,sur son intercession, Gen Yonten Gyatso nous expose depuis trois, quatre ans le Grand Lamrim de Je Rinpoche.

Rinpoche reçoit souvent des Tibétains à L'Haÿ-les-Roses, dont les plus grands Maîtres contemporains, à commencer par les deux Tuteurs : Kyabje Trijang Dorjechang et Kyabje Ling Dorjechang. Mais ce n'est quand même pas avec eux que j'ai fait mes premières armes, si vous me passez l'expression.


Eh bien, non. Cela s'est passé avec Lati Rinpoche, juste avant qu'il ne soit nommé abbé de Ganden Shartse. Heureusement pour moi, car il est d'une gentillesse et d'une indulgence à toutes épreuves. Seulement, comme beaucoup de Tibétains, il est aussi ... très taquin.

Mes débuts se déroulent "en famille", à la maison (chez Rinpoche, bien sûr). Il s'agit de traduire pour une amie, Colette D., qui avait sollicité une audience.
Outre le fait que je suis d'une timidité maladive, je n'ai qu'une connaissance pour le moins limitée et terriblement livresque de la langue tibétaine. J'ai à peine quelques vagues notions de bouddhisme. Et le Maître est non seulement impressionnant mais en plus il est originaire du Kham, province de l'Est et patrie de fiers et rudes guerriers. Pour dire les choses clairement, son accent est sensiblement différent de celui de Rinpoche, qui s'exprime en pure langue de Lhasa, avec la politesse et le raffinement des vieilles familles nobles.

Vous avez deviné que j'ai quelques difficultés à traduire l'audience, d'autant que Lati Rinpoche ne cesse de plaisanter : je ne sais donc pas trop si ce que j'ai l'impression de comprendre est vraiment ce qu'il dit, ou le fruit de mon imagination délirante, car il tient des propos surprenants pour les néophytes que nous sommes.

Et comme nos Maîtres tibétains sont généreux et accueillants, nous voici à midi tous les trois autour de la table pour déjeuner ensemble : Lati Rinpoche, Colette et moi - Rinpoche et Geshelags sont quant à eux au travail. Je suis donc censée servir le repas tout en jouant les interprètes. Je ne me souviens plus du reste du menu mais je peux vous affirmer qu'il comportait des radis.

Dès que je dépose le plat de radis sur la table, Lati Rinpoche arbore un air grave, et très sérieusement nous demande si nous sommes bien conscientes des souffrances endurées par ces malheureux radis. Il nous détaille longuement les douleurs qui leur sont infligées par les humains, en l'occurrence inhumains : on les tire sans douceur, on les arrache de terre sans pitié, on donne des coups de bêche au risque de les entailler et les blesser, etc., etc., tout cela pour les plonger dans un sel corrosif puis les dévorer à belles dents.

Colette et moi n'en croyons pas nos oreilles et nous regardons à la dérobée. Nous nous doutons bien que ce grand Rinpoche n'est peut-être pas aussi sérieux que le ton qu'il a adopté pour le discours qu'il nous assène, mais allez savoir ?

Le croirez-vous ? L'assiette de radis est repartie intacte à la cuisine ! Nous n'avons pas osé en croquer un seul sous les yeux du Maître qui nous incitait à la compassion envers eux.

Bien plus tard, quand j'ai raconté cet épisode à un autre de mes Maîtres, il a éclaté de rire et m'a expliqué que Lati Rinpoche avait réactualisé à notre usage une plaisanterie du fameux Takgo Rabjampa dont je vous ai parlé tantôt.
Takgo Rabjampa, c'était avec des navets. Un de ces jours, je pourrais vous raconter ce qui s'était alors passé, et qui est demeuré dans les annales tibétaines.

mardi 15 janvier 2008

Le Grand Cinquième

Inutile de raconter ici les biographies officielles des Dalaï lama ; d'excellents ouvrages bien documentés existent tant en français qu'en anglais. Mais il nous reste la petite histoire, qu'à titre personnel j'ai toujours préférée à la "grande" car je la crois plus significative.

On relate que le Grand Cinquième était extrêment brillant. Il faisait preuve d'une intelligence et d'une culture exceptionnelles, qui rédigeait des traités savants aussi bien à propos de la médecine que de l'histoire ou de la philosophie - en prose ou en vers. C'était aussi un homme de caractère. Un peu emporté, ajoute la tradition orale...
Et qui utilisa souvent la force pour arriver à ses fins - les kagyupa et les jonangpa en savent quelque chose, eux dont nombre de monastères ont été confisqués ou détruits sur ses ordres.

Ce jour-là, le Grand Cinquième est seul dans sa chambre, et il est mécontent. Très mécontent. Pour passer ses nerfs, il se saisit de sa boite à tsampa (farine d'orge grillée), en bois précieux, et la claque par terre. Un nuage de farine s'élève aussitôt. Et voilà le noble personnage blanc des pieds à la tête !

lundi 14 janvier 2008

Les grands Lama

On entend souvent ce genre d'expression : C'est un grand Lama. Ce qui laisse à entendre que d'autres lama ne seraient pas si grands... Ce qui, je dois dire, me gêne quelque peu. Car sur quels critères se base-t-on pour de tels jugements ?

Comme on ne va refaire le monde à nous seuls (même les Bouddhas ne peuvent accomplir le bien de celui qui n'y met pas du sien), prenons acte que cette expression existe et essayons de la comprendre.

Un grand Lama, c'est sans doute d'abord un pratiquant et un maître dont les qualités sont tellement évidentes qu'elles éblouissent les êtres ordinaires alentours, pourtant fortement aveuglés par leur ignorance et leurs voiles karmiques (n'oublions pas que, selon le bouddhisme, la perception de chaque être dépend somme toute plus de ses karma que des objets "extérieurs", au point que les cittamatrin nient jusqu'à l'existence des objets extérieurs à l'esprit).
Un grand Lama n'est donc pas obligatoirement un personnage riche ou d'un haut rang social. Souvent, d'ailleurs, il fuit les hochets de la notoriété profane. Pour prendre quelques exemples, citons Dromtönpa, Milarepa ou encore Ensapa.

Un grand Lama est-il toujours un haut dignitaire religieux, supérieur de moult communautés ? Cela peut arriver, quand il le juge nécessaire. Mais c'est loin d'être systématique. Bien des grands Lamas sont des anachorètes "asociaux". Rien de plus normal : ils prennent le contre-pied des conventions de ce bas-monde (ambitions, compétitions, pouvoir politique, richesses matérielles et autres vanités fondées sur l'intérêt personnel).
Notons au passage que tous les grands Lamas ne sont pas des moines - beaucoup sont laïcs. Et il se trouve même des femmes en leur sein (Cf. Machik Labdrön, qui n'est pas une exception unique) !

Quand même, ne peut-on concevoir une hiérarchie, avec par exemple en un le Dalaï lama, en deux le Panchen Lama, etc. ?
Ce genre de hiérarchie existe ô combien, mais elle n'a de valeur que politique. Rien ne la justifie sur le plan spirituel : qu'est-ce qui permettrait d'affirmer qu'un Bouddha l'emporterait sur l'autre ? Idem pour leurs émanations. Car des émanations d'Avalokiteshvara, c'est qu'il y en a beaucoup, outre les Dalaï lama et les Karmapa.

De toute façon, pour le pratiquant, le Lama le plus important est son propre Maître, et personne d'autre.

Toute société éprouvant le besoin de règles et d'un cadre structuré, il était cependant inévitable que les Tibétains établissent une hiérarchie parmi les lama, en mettant au sommet ceux qui sont le plus en vue, c'est-à-dire ceux qui, au cours de l'histoire, ont eu le plus de contacts avec les gouvernants chinois ou mongols.
Chacun sait que le titre "dalaï lama" est d'origine mongole et a été décerné au 3ème du nom par le grand Khan de l'époque, lequel avec largesse a englobé les deux prédécesseurs immédiats.

Lors d'une cérémonie dans un temple tibétain, comment sont placés les lama (sauf quand exceptionnellement un Maître de caractère du genre de Dagpo Lama Rinpoche ou Tag-ri Rinpoche imposent l'application scrupuleuse des règles du Vinaya).
Les lama sont classés enfonction de cinq catégories :
1. Les rgyal sprul : incarnations de rois du Tibet.
2. Les ho thog thu : incarnations d'empereurs mandchous, de Dalaï lama et de Panchen Lama.
3. Les tshogs chen sprul sku
(les tulkou de la grande assemblée, c'est-à-dire du monastère entier tous collèges confondus) : lama réincarnés qui ont obtenu du gouvernement (contre le versement d'offrandes matérielles aux membres dudit gouvernement) le privilège d'être intronisés dans le temple principal du monastère, et non pas dans le temple d'un des collèges (comme c'est le cas des grva tshang sprul sku). Dans certains collèges comme Drepung Loseling, la hiérarchie interne parmi les tshogs chen sprul sku est basée sur le montant des dons effectués par le lama lors de son intronisation.
4. Les Khri sprul : incarnations de Ganden Tripa (le rang qui leur est concédé démontre assez clairement que les critères retenus ne sont guère d'ordre spirituel).
5. Les mkhan sprul : incarnations d'abbés, notamment d'abbés des trois "piliers" : Sera, Drepung et Ganden (même remarque que ci-dessus).

Lama / tulkou

Les bouddhistes admettent la réincarnation mais, à ma connaissance, ce sont les Tibétains qui ont poussé ce principe jusqu'à rechercher systématiquement les nouvelles formes revêtues par certains grands personnages du passé. Ils les appellent lama (bla ma) ou, pour être plus précis, tulkou (sprul sku).

Le problème pour les non-initiés est que ces termes ont tous deux d'autres emplois. d'où ambiguïté et, parfois, malentendus. Ce week-end, lors du séminaire sur la mort à La Mutualité, il a été posé à Rinpoche une question concernant les renaissances des lama et tulkou, ce qui m'a donné envie de reprendre ici ce sujet.

Bla ma est la contraction de bla na med pa, qui signifie littéralement "sans supérieur", ou encore "suprême. Autant dire que, si ce titre est décerné par d'autres personnes, d'accord, mais se l'accorder à soi-même, ou simplement l'utiliser pour soi-même manquent quelque peu de modestie ! Supposons que nous rencontrions quelqu'un qui se présente à nous comme étant Lama Untel, pour qui comprend un peu la langue tibétaine, cela sonne bizarrement.

Toujours est-il qu'un lama est un maître spirituel. Notre propre maître est donc "notre lama", qu'il soit ou non reconnu en tant que lama par la société.

sPrul sku est l'équivalent tibétain du terme sanskrit nirmanakaya. Il désigne en premier lieu le ou les Corps d'émanation des Bouddha.
Ainsi, le Bouddha Shakyamouni était un Nirmanakaya, de ceux qui sont qualifiés de "Nirmanakaya suprêmes" (mchog gi sprul sku), bhikshu qui présentent les 32 signes majeurs et les 80 marques secondaires caractéristiques des Bouddhas. De telles apparitions dans un monde sont très rares, une seule à la fois par cycle d'Enseignement. Nous nous situons en effet toujours dans l'ère du Bouddha Shakyamouni. Le prochain Nirmanakaya suprême annoncé sera Maitreya (pour l'heure, skye ba sprul sku en la Terre pure de Tushita, alias Ganden), longtemps après le déclin et même la disparition de l'Enseignement de son prédécesseur à la surface de la terre.

En revanche, le troisième type de nirmanakaya (bzo bo sprul sku, "Corps d"émanation exécutants") est plus abondant et d'aspects infiniment variés : il est dit que les Bouddha et aryabodhisattva peuvent prendre toutes formes utiles pour accomplir le bien d'êtres en mesure de recevoir une aide de leur part. Cela va de l'aspect d'un musicien à des formes animales, en passant par des objets tels que des ponts !

Pour qu'on puisse s'y retrouver, il conviendrait d'élucider quelques questions élémentaires. Entre autres :
- Tous les lama sont-ils des tulkou ?
NON.

- Tous les Tulkou sont-ils des émanations de Bouddhas ?
OUI, si on prend "tulkou" au sens premier du terme. NON, si on entend par là "un lama réincarné".

- Alors, sont-ils au moins des émanations d'aryabodhisattva ?
NON, pas tous.

- Les lama sont-ils tous des "lama réincarnés" - de nouvelles formes prises par des maîtres antérieurs ?
NON. Comme indiqué plus haut, notre propre maître est notre lama. Mais il n'a pas forcément été intronisé comme étant la réincarnation de tel maître du passé.
DE PLUS, certaines populations ont généralisé le terme de lama jusqu'à dénommer ainsi tous les moines ! C'est ce qui se passe chez les Indiens : ils appellent lama tous les moines tibétains. Dans certaines régions du Tibet, cela se faisait déjà. Ou encore, dans l'école kagyu, le titre de lama est désormais décerné à ceux qui ont accompli des retraites de trois ans ou plus.

- Tous les "lama réincarnés" sont-ils des Bouddhas ou bodhisattva ?
Non, ils peuvent aussi être l'incarnation d'un maître qui est encore un être "ordinaire" au sens où il n'a pas obtenu la compréhension directe de la vacuité (et n'est donc pas un arya) et/ou il n'a pas réalisé bodhicitta (l'esprit d'Eveil), tant et si bien qu'il n'est pas un bodhisattva. MAIS si sa réincarnation est recherchée, c'est sans doute qu'il a déjà fait preuve de grandes qualités, notamment de sagesse, d'amour et de compassion.

- Lors de la recherche des lama réincarnés, des erreurs se produisent-elles parfois ?
OUI, bien sûr. Il est admis en société tibétaine que ce n'est pas toujours le bon candidat qui est retenu : outre les inévitables pressions politiques ou financières, il arriverait qu'à la place du maître, on sélectionne un de ses proches assistants, finalement mieux à même que l'intéressé d'identifier les objets lui ayant appartenu !

- Le nouveau tulkou marche-t-il toujours sur les traces de ses prédécesseurs ?
NON, et ce, même si aucune erreur n'a été commise dans son identification. Les temps ayant changé, le tulkou d'aujourd'hui s'adapte à son environnement et à ses contemporains. Il suffit de feuilleter les biographies des Dalaï lama pour constater que les maîtres réincarnés ne se contentent pas de reproduire un seul et même schéma à l'identique au fil des siècles.

dimanche 13 janvier 2008

Maître et lignée de transmission

Le but de la pratique bouddhiste est sans doute de devenir "autonome et responsable" puisqu'elle concourt notamment à la libération voire à l'état de Bouddha.

Pourtant, elle nécessite de s'en remettre à un guide qualifié, ou à plusieurs, car même si le Boudha Shakyamouni est parvenu à découvrir par lui-même - au prix d'efforts acharnés et d'intenses ascèses - la Voie qu'il a ensuite enseignée 45 années durant, il semble impossible pour le commun des mortels de parvenir seuls à de tels résultats.
Et puis, pourquoi se compliquer la vie à vouloir "réinventer le fil à couper le beurre" ? Quand une méthode efficace existe et qu'on peut y avoir accès par le truchement d'un expert, à quoi bon s'y refuser ? Si on aime la difficulté, on sera de toute façon largement servi au moment de mettre en application la méthode en question...

Mais ne pourrait-on se contenter des livres, qui exposent clairement et détail la méthode issue du Bouddha. Non, ce ne serait pas suffisant, en tout cas si on aspire vraiment à des résultats élevés. La transmission ORALE est essentielle. C'est elle qui véhicule non seulement le sens mais aussi la bénédiction. Elle requiert donc une lignée ininterrompue depuis l'auteur - le Bouddha. Cela signifie que, quand une lignée de transmission (par exemple à propos d'une certaine instruction, ou d'un certain traité) est brisée, c'est irrémédiable. Il est impossible de la régénérer, à moins de pouvoir faire intervenir l'auteur en personne...

Du fait du rôle joué par le(s) Maître(s) qu'on s'est choisi(s), qui sont le(s) précieux guide(s) indispensables pour les aventuriers que sont les pratiquants du Dharma, qui envisagent de s'engager sur des sentes inconnues pour accéder à l'Eveil, il(s) mérite(nt) le plus grand respect, une infinie gratitude, et une obéissance sans faille.

Cela dit, le bouddhisme, qui est éminemment pragmatique, recommande la plus grande prudence : "Ne vous jetez pas sur le premier Maître venu, comme un chien se jette sur un morceau de viende !, est-il recommandé. Prenez le temps de collecter des renseignements et de vérifier par vous-même si celui que vous envisagez de suivre présente les qualités nécessaires. Ce n'est pas parce que quelqu'un est connu et qu'il occupe une position élevée dans la hiérarchie que pour autant 1. il est fiable et 2. qu'il vous convient, à vous."

Dans le bouddhisme, c'est le disciple qui choisit ses maîtres, librement. Mais une fois qu'il a établi une relation de ce genre, s'il change ensuite d'avis et se détourne de l'un d'entre eux, il commet une faute extrêmement grave.

Un "bon" disciple est-il censé désormais obéir aveuglément ?
Non. A part quelques cas exceptionnels, il doit continuer à faire preuve de discernement et d'esprit critique. Si l'un de ses maîtres lui intime de commettre un acte contraire à la morale, il peut, il doit se récuser. En présentant des excuses, et sans mépris ni révolte (Cf. jataka). Mais la vénération pour les maîtres n'a pas à se transformer en fanatisme et en culte de la personnalité. Disons que cela vaudrait mieux pour tout le monde...

Hélas ! La voie du milieu s'avère la plus difficile à suivre. Et les mauvais conseils sont plus séduisants que les bons : quand un guide prône l'amour et la compassion, ses élèves ne se précipitent pas toujours pour appliquer ses instructions. Mais à la moindre invite à tourmenter autrui et le persécuter, les candidats se bousculent... N'est-ce point la nature même du samsara ?

vendredi 11 janvier 2008

Rendre à César ce qui appartient à César

Qui a énoncé ces paroles de sagesse, mais pas si facile à mettre en application :

"S'il existe une solution,
Pourquoi donc s'inquiéter ?
S'il n'existe pas de solution,
A quoi bon s'inquiéter ?"


Eh bien ! C'est SHANTIDEVA. S.S. le Dalaï-lama cite souvent ces vers, mais l'auteur en est le grand Pandit. Cf. Bodhicaryavatara, chapitre 6, à propos de la patience, stance 10.

jeudi 10 janvier 2008

Pas facile !

Soyons francs. Comment réagissons-nous quand quelqu'un se permet d'émettre la moindre critique à notre encontre, ou nous semble faire ombrage à nos - légitimes - ambitions ? Alors, si d'aucun se montre carrément hostile, ...

Aux antipodes, Shantideva énonce des voeux peu académiques :
"Que ceux qui m'injurient,
Me préjudicient
Ou se rient de moi,
Tous aient l'heur d'atteindre l'Eveil !"
(Bodhicaryavatara, chapitre 3, stance 1)

Voià qui permet de mieux comprendre pourquoi il a été dit que le (bon) pratiquant de Dharma va à contre-courant des usages du monde.

Shantideva

On ne répétera jamais assez qu'il ne faut pas se fier aux apparences !

Un exemple célèbre - chez les bouddhistes tout au moins : celui du Pandit Shantideva, qui, aux yeux de ses coreligionnaires, passait pour un fieffé paresseux, au point qu'il était surnommé "N'a que trois idées en tête" : manger, dormir, déféquer !

Quand il fut invité à prendre place sur le trône afin d'exposer le Dharma, le but était en fait de mettre son incurie au grand jour de sorte à pouvoir enfin l'expulser du monastère, dont il faisait la honte... Voilà dans quel contexte il énonça l'un des Enseignements les plus étudiés et médités encore de nos jours par les pratiquants du mahâyâna : le Bodhicaryavatara.

Limiter les dégâts

L'éthique bouddhiste n'a rien d'une règle arbitraire et contraignante. Elle est tout simplement affaire de bon sens et de discernement - de sagesse, pour reprendre la terminologie usuelle.

Elle est axée sur un principe intangible, qui devrait faire l'unanimité : ne pas nuire, ni à autrui, ni d'ailleurs à soi-même. Avec un corollaire à appliquer dans la mesure du possible : agir de manière utile et bénéfique, à autrui et à soi.

Sur le terrain, en vue d'opérer des choix judicieux entre plusieurs attitudes envisageables, il est recommandé de privilégier le long terme par rapport au court terme.

En cas d'erreur et/ou de faute, il demeure possible de se purifier des potentialités négatives engrangées. Les méthodes de purifications sont multiples et nombreuses, mais elles reposent toutes sur un même socle, constitué par "les quatre forces de confessions" : la force du repentir, la force de la détermination à ne pas récidiver, la force du remède (n'importe quelle activité bonne et positive), la force du support (pour "se relever", s'appuyer sur les mêmes "supports" que ceux qui ont fait chuter : les êtres ordinaires ou non).

C'est parce que le bouddhisme admet la possibilité de se nettoyer ainsi des karma non vertueux accumulés au fil des vies qu'il affirme la possibilité d'atteindre la libération du samsara (disons de la souffrance sous toutes ses formes) voire l'état de Bouddha.

Certains agissements, extrêment graves, sont cependant tellement puissants qu'il serait difficile de totalement les neutraliser, c'est-à-dire de les empêcher de produire le moindre résultat. On pourrait sans doute atténuer leurs conséquences, mais pas les "stériliser" complètement.

De tous les actes négatifs, cinq sont qualifiés de "crimes à rétribution immédiate" : si on ne fait rien pour les purifier, au sortir de la vie où ils ont été commis, ils entraînent immédiatement dans les "enfers" sans même de bardo (période entermédiaire entre une mort et une vie).
Quels sont-ils ?
- Tuer sa mère ; - tuer son père ; - tuer un arhat (quelqu'un qui, ayant compris le non-soi, a obtenu la libération) ; - susciter un schisme dans la communauté religieuse ; - faire volontairement couler le sang d'un Bouddha.

Bien que de tels actes puissent être partiellement purifiés, ils interdisent d'au cours de cette même vie obtenir l'état de Bouddha, même si on recourt avec diligence au Tantra souverain qu'est le Guhyasamajatantra.

lundi 7 janvier 2008

Enseigner par l'exemple 2*

Nous avons déjà eu l'occasion de rendre hommage à l'un des Maîtres de Rinpoche, Geshe Nagwang Legden (1899 -1971) (Cf. 20.10.07).

Dès le tout début de l'exil, en 1959 ou 1960, ce visionnaire (au sens moderne et occidental du terme) haranguait ses compagnons d'infortune :
"Nous sommes en danger de mort. Eh bien ! Quand on est atteint d'une maladie qui risque d'être mortelle, on doit prendre les remèdes pour sauver sa vie, pas juste des médicaments pour les yeux, par exemple. Vous ne parlez que de poursuivre vos études de philosophie bouddhiste. Ce n'est pas là l'urgence. Il nous faut d'abord nous mettre en sécurité, nous recréer un cadre de vie qui nous permettra, ensuite, de nous consacrer à l'étude et la méditation. Si m'en croyez, apprenez les langues des pays où vous devez habiter. C'est indispensable pour votre autonomie."

Comme relaté dans l'article du 20 octobre 07, Geshe Nagwang Legden avait joint l'acte à la parole et malgré son grand âge, n'avait pas rechigné à s'initier au français, puis à l'anglais.

Les statues / 3

Sujet inépuisable, semble-t-il !

Juste un petit mot aujourd'hui sur ce thème.
Supposons que nous soyons les heureux dépositaires d'une statue d'un Bouddha auquel les rouleaux de mantra n'auraient point encore été offerts. Que pouvons-nous, ou devons-nous faire dans l'immédiat ?

Solution la plus facile : rien. Comme déjà indiqué, à part en zone d'influence tibétaine, les bouddhistes consacrent bien sûr leurs statues, mais ne les emplissent pas de mantra.

Seconde option, pas si compliquée finalement : comme on le fait au dos des peintures, sur une bande de papier, écrire les uns en dessous des autres les trois mantra qui symbolisent le Corps, la Parole et l'Esprit : OM Â Houm. Insérer le papier dans la statue, ou apposer au dos.

dimanche 6 janvier 2008

Les statues / 2

La plupart des bouddhistes installent chez eux, sinon un autel, au moins une représentation du Bouddha Shakyamouni, pour lui rendre hommage et lui présenter des offrandes.

Attention au vocabulaire ! On n'achète pas un tel objet. On l'invite !
Dans Tibet d'avant 1959, les artistes dignes de ce nom n'auraient jamais, au grand jamais, fixé un tarif. Ils se contentaient d'accepter l'offrande qui leur était remise, qu'elle couvre ou non les frais engagés. Lesquels sont souvent importants quand les statues sont dorées à l'or fin.

Sans doute à cause du climat local, glacial, les Tibétains aiment habiller leurs statues. C'est une offrande de vêtements, mais qui n'a pas de caractère obligatoire. Ne soyons pas plus royalistes que le roi (tendance fréquente de par chez nous...).




Autre coutume du Pays des neiges : emplir les statues de rouleaux de mantra. En tibétain, on dit : "offrir des dharani" (gzung phul).
J'entends souvent mes amis français parler de "charger" ds statues. J'ignore d'où leur vient cette expression, qu'à titre personnel j'évite : j'ai dû être militaire dans une vie antérieure, et pour moi, ce sont les fusils qu'on charge - de munitions.

Toujours est-il qu'offrir les dharani à des statues est un énorme travail, de spécialiste. Il ne faut surtout pas s'amuser à le faire soi-même, n'importe comment : on ne ferait qu'accumuler force démérites, par ignorance. Au mieux, on peut se proposer pour donner un coup de mains aux religieux compétents, pour quelques tâches, mais pas non plus n'importe lesquelles : certaines étapes sont exclusivement du ressort de personnes qualifiées (des moines).

En résumé, l'idéal est d'emplir la statue avant de la dorer. Cela facilite grandement la première étape qui consiste à laver soigneusement la statue. Une fois qu'elle est bien sèche, on la retourne tête en bas sur un tisu bien propre pour disposer à bon escient les rouleaux dûment préparés.

Lesdits rouleaux sont des bandes de papier safranées (offrande de parfum) sur lesquelles sont inscrits divers mantra .
On les enroule très serrés, parfois autour d'un bâtonnet d'encens si la statue à emplir est grande, puis on les consacre.
Il faut faire bien attention à disposer les mantra la tête en haut, et à les placer aux endroits adéquats : tête, gorge, épaules, tronc, jambes, socle. Ce travail exige savoir et savoir-faire, ainsi qu'une grand force physique : il s'agit de ne pas laisser d'interstices, et donc il faut faire entrer un maximum de rouleaux (à coups de maillet !) et caler avec des plantes médicinales et odoriférantes (surtout, éviter les poisons). Si on en dispose, il est permis et même conseillé d'ajouter des reliques émanant de grands personnages : cheveux ou petits morceaux de vêtements, etc.

Une fois la statue bien remplie de rouleaux de mantra, on ajoute encore quelques dessins de bon augure (roue, lotus, etc.) et on scelle le socle.

La source du bonheur


"Tous les bonheurs du monde
Viennent de souhaiter le bonheur d'autrui.
Toutes les souffrances du monde
Viennent de vouloir son propre bonheur.

A quoi bon de longs discours ?
De l'immature qui n'agit que pour lui
Et du Mouni qui agit pour autrui,
Voyez la différence."

(Shantideva,Bodhicaryavatara, Chapitre 8, stances 129 et 130)

Au-delà des frontières...

"Comment voulez-vous qu'il soit heureux ? Il n'aime que lui."
"Etre heureux, c'est faire des heureux !"
"Le sage est celui qui sait prendre parti, sans parti pris."
"il faudra bien que tu prennes le temps de mourir. Pourquoi te refuser à toi-même celui de vivre ?"
"L'important, ce n'est pas ce qu'on est, mais ce qu'on offre."
"Je crois que le vainqueur, c'est celui qui se donne."
"Seul l'avare est pauvre, irrémédiablement."
"Un coeur qui ne s'éveille pas devant la misère est bien misérable."
"Aider, c'est d'abord comprendre : donc, écouter."

A quel bodhisattva doit-on ces quelques pensées qui mériterait sans doute d'être à l'occasion méditées ?
A un certain Raoul Follereau, dont je viens de retrouver, dissimulé dans un dossier, un fascicule tout petit en taille mais immense en signification, intitulé Le livre d'amour (1981). A la fin duquel il est spécifié : "Cette brochure est distribuée gratuitement et ne doit faire l'objet d'aucune opération commerciale."


Voilà qui ne peut que me plaire, et me réconforter. Voilà qui me permet aussi de mieux concevoir les qualités des bodhisattva et des Bouddha, capables de revêtir toute forme qui puisse s'avérer utile pour accomplir le bien des êtres : accorder sa confiance non pas à l'individu (c'est-à-dire à l'aspect qu'il arbore) mais à son enseignement.

vendredi 4 janvier 2008

Les 4 critères de fiabilité 2

J'ai envie de revenir un instant sur le sujet de l'autre jour : les quatre principes de fiabilité tels que recommandés par le Bouddha :
1 Gang zag la mi rton / chos la rton
2 Tshig la mi rton / don la rton
3 Drang don la mi rton / nges don la rton
4 Rnam shes la mi rton / ye shes la rton


En français, disons provisoirement :
1 Ne pas se fier à l'individu ; se fier au dharma (à ce qu'il énonce).
2 Ne pas se fier aux mots (au style) ; se fier au sens.
3 Ne pas se fier au sens littéral ; se fier au sens réel.
4 Ne pas se fier aux consciences (ordinaires) ; se fier à la sagesse supérieure.


Je me prends à rêver : et si au lieu de réserver ces précieux instruments de mesure à quelques rares philosophes bouddhistes en mal de débats dialectiques, on les "vulgarisait" ?

Imaginez que nous ayons appris à réfléchir, et même à raisonner sur une base de ce genre dès la crèche. Vous vous rendez compte le nombre d'erreurs que cela nous aurait épargné ? Et la somme de malentendus et/ou de disputes que nous aurions économisée ? En cette période de crise, voilà qui serait rentable, puisque nous ne nous laisserions pas abuser par des publicités mensongères.

Seulement voilà, c'est une démarche exigeante. Plus question de fonctionner au coup de coeur, et de se laisser griser par de belles paroles, ou séduire par un beau physique, ou acheter par des promesses oiseuses. S'habituer à peser le pour et le contre. Y compris au moment de déposer un bulletin de vote dans une urne, ou de s'engager dans une quelconque activité, ou relation. Tâcher de dépasser les apparences pour aller au fond des choses - ce qui est plus facile à dire qu'à faire. Mais le jeu en vaudrait peut-être la chandelle...

Méditation sur l'impermanence

"Point ne t'apitoie sur toi
Regarde ton cadavre de visage
Les stèles de tes dents de temple enfui
Tes yeux grenouilles privés de mare
Au vent blanchi des chevaux - cheveux
rebelles comme le Destin
Le piège des nuages inonde ton âme
Le clapotis des passions tressaute comme un squelette
Dans la lande de poussière
La lune n'est qu'un appât
Etre le chat
Qui marche sur la muraille de neige
Entre le Vide et le Plus Vide encore"


Poème composé par André FABRE dans le TGV vers Perpignan, le 16.12.04
* * *
S'il est une notion importante dans le bouddhisme, c'est bien celle d'impermanence , comme vous le savez.
Quand j'ai lu ce poème rédigé par l'un de mes chers professeurs des Langues'O, le Professeur émérite André Fabre, me sont aussitôt revenus en mémoire des bribes de chants entonnés par Jetsun Milarepa, quand il raconte que c'est par peur de la mort qu'il s'est enfui dans la montagne pour méditer, mais que désormais la mort peut venir : il ne la craint plus. Ou encore quand Milarepa souligne le fait quelque peu désagréable que notre cadavre n'est jamais bien loin de nous : il n'est autre que notre corps, privé du souffle vital.

Je profite de l'occasion pour rendre hommage à mes maîtres et professeurs, depuis l'école maternelle à aujourd'hui, et je suppose, jusqu'à ma mort.
Quand j'entends parler beaucoup d'autres personnes, de tous âges, qui se plaignent amèrement du corps enseignant, j'ose en général à peine prendre la parole, car en ce qui me concerne, je n'ai pour ainsi dire que des bons souvenirs... J'ai eu, je le confesse, d'excellents professeurs, dévoués et compétents.
Déjà, la directrice de l'école maternelle ! Nous l'aimions tant que les grands du C.P. que nous étions devenus se précipaient souvent dès la cloche de midi pour traverser un parc et quelques rues, et avoir le temps de la saluer à la sortie de la Maternelle quelques minutes plus tard (les Mamans n'ayant pas forcément le don d'ubiquité, les décideurs avaient aménagé intelligemment les horaires).

Quant aux Langues'O, qu'en dire, sinon que c'est là que j'ai rencontré Rinpoche ? D'où mon attachement éperdu à cette noble institution.
En section de japonais également, nous avons eu des enseignants remarquables, Asiatiques ou Occidentaux : Messieurs Mori, Origas, Fujimori ou Ninomiya pour ne citer que quelques noms. Et Monsieur Fabre.
Ce dernier enseignait principalement la langue et la culture coréennes - ses spécialités- , mais aussi la linguistique et la littérature japonaise classique. Et à ses moments perdus, l'informatique. Je l'ai donc retrouvé plusieurs fois dans des registres assez variés. D'aspect réservé, voire timide, il ne pouvait dissimuler longtemps son profond sens de l'humour, qui transparut pour nous dès le premier trimestre dans ses choix de textes pour nous entraîner à l'austère phonétique.
A la retraite depuis quelques années, il est retourné dans sa région natale, mais reste extrêment actif : si j'ai bien compris, il enchaîne conférences et publications, sans pour autant omettre l'essentiel : poésie et spiritualité.

Au gui l'an neuf !

L'année nouvelle, ou le renouveau...

Le renouveau, vraiment ? Echanger des voeux est une chose ; mais quand on aborde une nouvelle année, y a-t-il vraiment lieu s'en réjouir et de "faire la fête".

Sans vouloir jouer les rabat-joie (c'est pour cela que j'ai quand même attendu quelques jours), je trouve que cela n'a rien de bien réjouissant. C'est une année de plus à décompter, et par conséquent une année de moins par rapport à notre durée de vie globale. Un pas de plus vers la tombe.

Rinpoche* nous a souvent raconté qu'au Nouvel An, le grand Maître tibétain Longdol Lama Rinpoche (1719-1794) accueillait assez rudement les nombreux visiteurs venant lui présenter leurs voeux. Il brandissait un gros bâton et fulminait : "Bonne Année ! Bonne Année ! Mais vous ne vous rendez donc pas compte que le temps s'écoule, et votre vie avec ?" Faisant mine de les frapper, il les ramenait à la réalité des choses, à l'inexorable impermanence qui n'épargne rien ni personne.

Longdol Lama Rinpoche était un moine du monastère de Sera Med. Dans sa jeunesse, sans parents ni amis, il avait connu un extrême dénuement sur le plan matériel, qui n'avait fait que renforcer sa détermination à étudier à méditer. Puis la renommée était venue, et avec elle l'aisance matérielle et ... une nombreuse parentèle.
Il invite donc un jour ses oncles, tantes et autres cousins à un somptueux festin. Mais avant de faire servir les plats, le voilà qui se met à effectuer des prosternations devant un gros tas de sacs disposés en place d'honneur et bourrés d'orge et autres richesses. En même temps il psalmodie des invocations peu orthodoxes : "Je n'avais pas d'oncle. Grâce à vous, j'en ai maintenant beaucoup. Ô biens matériels, devant vous je me prosterne !" ; "Je n'avais pas de tante. etc." Puis, impassible, il convie ses hôtes à savourer le repas.

D'après certaines sources, Longdol Lama Rinpoche est l'un des prédécesseurs de Rinpoche...

* Je rappelle que, pour moi, "Rinpoche" est forcément Dagpo Rinpoche. Sinon, je précise.

mardi 1 janvier 2008

Maître et disciple


Le bodhisattva Tagtou-ngou ("Qui pleure continuellement") représente, entre autres, le disciple modèle. S'il pleurait, c'est qu'il recherchait partout son Maître, celui auquel il était lié depuis des vies et des vies et qui lui enseignerait la vacuité, et que pendant longtemps il ne le trouvait pas. Oh, il rencontrait bien des Bouddhas, Manjoushri notamment - qui concrétise quand même la sagesse - mais voilà, le lien n'était pas suffisant pour faire naître la compréhension.

Qui était donc ce fameux Maître, supérieur à Manjushri et indispensable à notre bodhisattva pour progresser sur la voie ? Eh bien, Chöpag n'était pas un Bouddha, mais encore un être ordinaire... Mais la loi de causalité étant ce qu'elle est (infiniment plus complexe à pénétrer dans sa subtilité que la vacuité, a expliqué le Bouddha), quand les causes ne sont pas réunies, les résultats ne peuvent se produire.

La vie du bodhisattva Tagtou-ngou est relatée dans le Soutra de la sagesse en 8000 stances, désormais traduit en français. Chacun peut donc désormais facilement s'y reporter. Je me contenterai d'ajouter que
Tagtou-ngou vécut longtemps avant le Boudha Shakyamouni, et qu'il est aussi considéré comme constituant le premier maillon d'une lignée de Maîtres dont mon propre Maître, Dagpo Rinpoche, est le représentant actuel...

Nouvel An

Puisque c'est le premier de l'An, ne dérogeons pas aux us et coutumes (qui ont leur raison d'être) : "Bonne et Heureuse Année !"

En société tibétaine, c'est le moment ou jamais de dire "Tashi délég", expression naguère réservée aux grandes occasions, dont le Nouvel An.

Au fait, qu'est-ce que ça veut dire, "tashi délég" ?
Comme souvent, cet énoncé "simple" et somme toute banal est quasiment intraduisible... Disons que je ne vois pas comment exprimer en français autant d'idées en si peu de syllabes.

"Tashi" - bra shis - évoque et englobe tout ce qui est favorable ou encore de bon augure. Pas étonnant que ce soit devenu un nom de personne prisé (et mixte).

"Dé" - bde - est traduit en général par "bonheur", sachant que le mot en question embrasse un vaste champ sémantique, allant des bonheurs ordinaires et profanes au bonheur suprême de l'Eveil.

"Lég" - legs - : je ne sais trop comment rendre ce mot ; disons "bien", voire "excellent".

Maintenant, je compte sur vous pour combiner les différents termes et trouver une formule à peu près satisfaisante dans nos langues. Bon courage. Et merci d'avance.