samedi 22 janvier 2011

Compassion

Impossible de développer l'esprit d'Eveil sans la grande compassion.

A quoi resssemble cette qualité si précieuse, mais terriblement mal traduite en français ?
Procédons par élimination. Non, la "compassion" au sens bouddhiste ne consiste pas à "souffrir avec".
Certainement pas, car les Bouddhas, qui ont parachevé la grande compassion, sont au-delà de toute souffrance. C'est pour cela que je trouve que la traduction retenue en français (mais, je crois, aussi dans d'autres langues occidentales) n'est pas des plus heureuses.
Je préfère le terme tibétain - snying rje - qui signifie littéralement "seigneur du coeur". C'est plus joli, et comme ça ne veut pas dire grand chose directement, on peut y mettre un sens plus aisément.

Quel sens ?
Snying rje suppose d'avoir pris conscience de la souffrance d'autrui, et d'être indigné par cette souffrance, ressentie comme inadmissible. Cela ressemble étrangement à la "sainte colère" si magnifiquement exprimée naguère par l'Abbé Pierre.
Cela n'a pourtant rien à voir avec la colère, car loin de vouloir du mal à qui que ce soit, snying rje (comme la sainte colère) n'aspire quau bonheur de ceux qui sont concernés.

Justement, qui pourrait être visé par la compassion ?
En tout et pour tout, des êtres autres que soi, en proie à la souffrance, sous l'une ou l'autre de ses formes. Ce qui exclut les Bouddhas et les Arhat, et sans doute les Arya.
Pourquoi ai-je précisé "autres que soi" ? Parce que la prise de conscience de ses propres souffrance éveille ce qu'on appelle le "renoncement". Orientée vers les souffrances d'autrui, elle suscite "la compassion".

Tout un chacun a naturellement, instinctivement même, du mal à supporter que des proches souffrent. Il s'agit alors de compassion, mais pas de grande compassion.

La compassion est qualifiable de "grande" dès lors que, sur la base de l'équanimité, elle s'étend à tous les êtres exposés à la souffrance.

La grande compassion est-elle le fait exclusivement des bodhisattva et des Bouddhas ?
Non, non. Tous les Arhat ont réalisé la grande compassion. C'est à dire non seulement les Arhat du mahayana, mais aussi les autres (que l'on parle de "hinayana", "theravada", ou lignée du sud).

Ben alors, si les Arhat hors du mahayana ont aussi réalisé la grande compassion, où réside donc la nuance ?
Elle réside en la "pensée supérieure", qui consiste à se dire qu'à titre personnel, on a la responsabilité d'oeuvrer pour le bien de tous les êtres, de sorte à les libérer de la souffrance et de leur donner accès au bonheur.
Oui mais, en a-t-on la capacité ? On se rend compte alors qu'on n'en est pas capable, en tout cas pas encore.
Pourrait-on en devenir capable ? Oui. En devenant Bouddha.
D'où l'aspiration à devenir Bouddha, pour accomplir le bien de tous les êtres. Vous aurez reconnu ici bodhicitta.

Autrement dit, la grande compassion, dont la réalisation se situe avant la réalisation de l'esprit d'Eveil, aboutit à celui-ci si la personne estime avoir le devoir d'accomplir le bien de tous les êtres et prend la décision d'en endosser la responsabilité. Or, pour oser assumer une telle responsabilité, il faut être convaincu que c'est chose faisable. Et sur ce point, les opinions divergent.

Quelqu'un qui a développé la grande compassion mais pas la "pensée supérieure" (et donc pas non plus bodhicitta) éprouve le désir sincère d'aider de son mieux le plus d'êtres possibles, et il agit de cette façon. Mais il ne conçoit pas (en tout cas, pas pour le moment) que ce serait à lui de faire en sorte de libérer tous les êtres de la souffrance, sous toutes ses formes, et de leur donner accès au bonheur supérieur.