mercredi 7 janvier 2015

Tu sera un homme, mon fils !


Poème de Rudyard Kipling, écrit en 1895

 Tu sera un homme, mon fils !
 
Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie,
Et sans dire un mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties,
Sans un geste et sans un soupir,
Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre,
Si tu peux supporter d’entendre tes paroles,
Travesties par des gueux pour exciter les sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles,
Sans mentir toi même d’un mot,
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les Rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi,
Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser jamais ton rêve être ton Maître,
Penser sans n’être qu‘un penseur,
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant,
Si tu peux rencontrer triomphe après défaite,
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête,
Quand tous les autres les perdront,
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Ne seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire,
Tu seras un Homme, mon fils !  

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