Ô toi, le premier d’entre nous, les fils du septentrion !
Ayant voyagé par monts et par vaux, j’en ai vu,
Et j’en ai tant entendu.
Aussi mes propos font-ils mouche.
Est réputé sagace celui qui distingue le vrai du faux comme le front de la nuque.
En quelque lieu ou direction que tu te rendes,
En quelque site ou logis que tu t’établisses,
Avec qui que tu entres en relations ou que tu te trouves,
Se mettre en harmonie avec les autres constitue la base des valeurs humaines.
Ecoute l’avis que je vais là-dessus exposer.
Ecoute l’analyse des faits et gestes que je vais mener.
Ecoute l’instruction, qui apaise dieux et nagas, que je vais délivrer.
D’entre les valeurs, excellentes sont ces profondes valeurs humaines.
A l’intention de qui que tu te donnes du mal,
Ne t’en targue point et ne maugrée guère.
Quoi que tu entreprennes ou accomplisses,
Conforme-toi aux usages.
Pour nombreuses que soient tes qualités,
Ne rabaisse guère les autres ni ne les dédaigne.
Même si intense est ton attachement envers tes possessions,
Ne prends guère de privautés avec les biens d’autrui.
Si doué que tu sois en actes, moyens ou desseins,
N’enfreins guère la règle générale.
Alors même qu’il s’agit de biens acquis par toi-même,
Dissimule-les en public et n’en fais guère étalage.
Même si tu es considéré par tous comme un homme de bien,
N’aie guère cet orgueil qu’est l’infatuation.
Même si tu es infiniment supérieur à tous,
Dissipe le moindre sentiment de supériorité.
Alors même que tu es sollicité en tant que guide spirituel,
N’aie guère de dédain pour quiconque, lettré ou inculte.
Même s’il n’est personne qui te soit supérieur,
Mets-toi tout en bas et rends-toi accessible.
Pour exécrable que soit le chef d’aucuns,
Avec déférence rends salut pour salut.
Sitôt qu’apparaîtrait quelqu’un qui serait ton égal,
Accorde-lui la place d’honneur et traite-le avec respect.
A qui demande l’enseignement, qu’il soit lépreux ou mendiant,
Expose abondamment les instructions, et ce au milieu de tous.
Et si c’était pour te déprécier ou encore te tester,
Soigne ton discours, exceptionnellement sublime.
Même si offrandes et services dévoués t’échoient justement,
N’y prête pas attention et mets tout le monde à égalité.
Dès lors qu’il conviendrait de garder le secret,
Demeure silencieux comme si tu étais muet.
Ceci était un exposé rudimentaire des généralités.
Comme je vais encore ouvrir mon cœur, veuille écouter.
Chercher une entente avec les ennemis est plus profond.
Taire à son fils ce qui est confidentiel est plus sûr.
Garder ses prières dans sa gorge est plus pieux.
Celer les torts de part et d’autre est plus sage.
Creuser ses propres fautes est plus sage.
Ne pas faire état des erreurs d’autrui est mieux.
Avec cœur prendre soin de ceux qui s’en remettent à vous est le plus remarquable.
Comme je t’ouvre mon cœur, veuille encore écouter.
Dès la première rencontre parler à cœur ouvert est une erreur.
Sans vérification, accorder sa confiance est une erreur.
Si l’on s’est trompé en vérifiant, continuer est une erreur.
Charger de tâches des gens sans scrupules est une erreur.
Faire communauté de biens avec des gens qui ne vous aiment pas est une erreur.
Prendre pour disciple quelqu’un alors qu’il est dénué de foi est une erreur.
Considérer comme maître quelqu’un alors qu’il est dénué de compassion est une erreur.
Prendre pour ami quelqu’un d’infidèle et sans honte est une erreur.
Prodiguer des conseils à qui n’écoute pas est une erreur.
Solliciter un avis clairvoyant à qui ne sait pas est une erreur.
Une fois qu’on sait que ce sont des erreurs, si l’on ne s’en garde pas encore,
Alors on doit savoir que l’on est insensé.
Comme je t’ouvre mon cœur, veuille écouter encore.
Au moment de consommer le repas, tout le monde est de bonne composition ;
Après trois jours passés ensemble, nombreux sont ceux qui démasquent leurs défauts.
Proches ou inconnus, si, sans attendre que se soit écoulé un an,
On leur confie des tâches, on s’en repent promptement.
Faire état des défauts qui nous apparaissent en autrui est déplorable.
Rien que d’y penser est perturbant.
En parler à deux est dévastateur.
Qu’on en parle à trois, et le vent propage la rumeur.
Si on ne l’énonce pas et que ça se dissipe dans le vide, c’est mieux avisé.
Si, par divers moyens, on comprend ce que sont les impairs sur le plan oral, il y a de quoi rire.
Si on s’abandonne aux doutes, les démons sont ravis.
Si on prend un fléau pour un ami, c’est la plus grande erreur qui soit.
Comme je t’ouvre mon cœur, veuille écouter encore.
N’aie pas trop d’attachement pour la nourriture ; fais-en don.
N’aie pas trop d’avarice envers les possessions ; fais-en offrande.
Ne change pas trop de physionomie ; sois souriant.
Ne lèse pas trop les ennemis tout en favorisant les amis ; cultive une complète égalité.
N’encense pas trop ton entourage ; garde cela en ton for intérieur.
Ne jette pas trop l’anathème promptement ; mets habilement à l’écart.
Ne fais pas trop de promesses à quiconque ; tiens-les.
Ne donne à personne de mauvais conseils ; prodigues-en de bons.
Si tu as failli, ne te laisse pas écraser par le regret ; garde-toi de recommencer.
Comme je t’ouvre mon cœur, veuille écouter encore.
Se plaindre revient à héler les ennemis ; mets-y vraiment fin.
Les activités multiples commandent les ennuis ; mets-y vraiment fin.
Abondance d’idées perturbe les desseins ; mets-y vraiment fin.
Un mauvais caractère, c’est comme un rassemblement d’ennemis ; mets-y vraiment fin.
Les chimères et autres superstitions sont une halle aux démons ; mets-y vraiment fin.
Un mauvais entourage est source de discrédit ; mets-y vraiment fin.
Les mauvais amis sont causes de regrets ; mets-y vraiment fin.
Les mauvaises contrées sont des spirales de maux ; mets-y vraiment fin.
Les affaires du monde sont des entraves aux pieds ; mets-y vraiment fin.
Comme je t’ouvre mon cœur, veuille écouter encore.
Quand les cinq dégradations des temps de dégénérescence prennent de l’ampleur,
Le démon qui fait obstruction à tous les pratiquants, c’est d’avoir de l’attachement pour les uns et de l’aversion pour les autres.
Où que tu ailles, modère la partialité.
Quoi que tu fasses, mets-toi au dernier rang.
Les plaines du lointain Népal sont de climat chaud.
Prends garde à ce que tu y boiras pour te désaltérer.
Lateu, dans le sud, abrite des créatures redoutables ;
Prends garde aux maléfices haineux.
A Nyangchab, dans le nord, les commérages vont bon train,
Prends garde aux interminables bavardages.
Au Tibet, le Royaume des morts, il n’est ni honte, ni fidélité ;
Agacé, prends garde à la colère.
De nos jours, les gens sont inconstants ;
Prends garde aux beaux parleurs.
Comme je t’ouvre mon cœur, veuille écouter encore.
Ne perds pas tes espoirs et ta confiance en la déité tutélaire,
Mais n’attends pas grand chose des hommes en ces temps funestes.
Ne lésine pas tes scrupules ni ta fidélité envers tes compagnons.
Qu’ils agissent bien ou mal, fais peu de remarques.
Ne remets pas à plus tard les « blanches » activités [ bénéfiques ],
Mais engage-toi dans la pratique de l’excellente voie.
Ne recherche point trop la facilité dans toutes tes entreprises,
Mais, par les trois portes [corps, parole, esprit], fais preuve de respect envers tes maîtres.
En résumé, érige en couronnes tous les grands de ce monde.
Prends soin des humbles comme pour les préserver du fil de l’épée.
Sois de compagnie cordiale avec les égaux, comme les bœufs d’un même attelage.
En toute activité, n’aie guère d’attente personnelle.
En toute entreprise, privilégie le bien collectif.
Les conseils que je t’ai ainsi dispensés,
Ne les regarde pas comme l’oiseau sa coquille.
Transcris en landza* ces excellentes paroles,
Et dans la solitude contemples-en le grandiose spectacle.
Si tu parviens à les appliquer, tout te réussira.
De ce jour et au fil de toutes nos vies,
Puissions-nous œuvrer ensemble afin de guider les êtres jusqu’au bonheur.
Reprenons avec allégresse les prières mêmes
Que formula Samanthabhadra.»
(landza : écriture népalaise)