lundi 8 juillet 2024

Chökhor Düchen 2024 - 9 juillet

 La commémoration du premier Enseignement du Bouddha - chos 'khor dus chen ཆོས་འཁོར་དུས་ཆེན་ - coïncide cette année avec le mardi 9 juillet.

C'est à Sarnath, au Parc des gazelles, que jadis le Bouddha Shakyamouni mit en mouvement, pour la première fois, la Roue du Dharma,  en enseignant Le Sutra des Quatre Vérités des arya, socle et quintessence de l'Enseignement qu'il dispensa jusqu'à sa mort 45 ans plus tard.

"Ceci est la vérité de la souffrance des arya (cad telle que vue par les arya - les "nobles")."
"Ceci" désigne ici nos agrégats constitutifs, à nous êtres imparfaits, à savoir notre corps et notre esprit conditionnés par nos facteurs perturbateurs (ignorance en tête) et les karma que nous accumulons sous leur emprise.
-> Un corps et un esprit encore et toujours affectés par les facteurs perturbateurs ne peuvent qu'être "de la nature de la souffrance", cad soumis à la souffrance, sous ses différentes formes.
C'est la "vérité", ou encore la "réalité", que voient les arya, les êtres qui ne sont plus "ordinaires" car ils ont désormais la compréhension directe du non soi (absence de nature propre des choses).

"Ceci est la vérité de l'origine" de la souffrance."
"Ceci" désigne cette fois nos facteurs perturbateurs (alias klesha : ignorance, attachement, aversion, et leurs cohortes) + les karma accumulés sous leur coupe

"Ceci est la vérité de la cessation" de la souffrance."
 Si telle est la situation présente, ce n'est pas irrémédiable. On peut s'en sortir.

"Ceci est la vérité du chemin" menant à la cessation de la souffrance."
Comment se sortir du cercle vicieux du samsara ?
Grâce aux trois instructions (ou encore entraînements) supérieures - de l'éthique, de la concentration, de la sagesse.
Les trois s'entraident et se confortent mutuellement. Cependant, la base nécessaire consiste en l'éthique.

 

samedi 22 juin 2024

Enseignements de Ling Rinpoche été 2024

2024 Events

France

Labastide-Saint-Georges
Jul 6
Commentary on In Praise of Manjushri (Gang Lo Ma) (10am-12pm)
Teaching on 8 Verses of Thought Transformation (3-5pm)
 
Jul 7
Celebration of His Holiness the 14th Dalai Lama's Birthday (10am-12pm)
Manjushri Initiation (3-5pm)
 
Jul 9
Tsog on Chokhor Duchen (7pm)
 
La Boulaye
Jul 13
Avalokiteshvara Initiation (10am)
Hosted by
Palden Shangpa La Boulaye - Dashang Kagyu Ling
 
Jul 14
Buddha Amitayus Initiation (Tsewang) (10am)
Hosted by
Palden Shangpa La Boulaye - Dashang Kagyu Ling
 
Roqueredonde
 Jul 20
4 Thoughts Turning Mind to Dharma (Lo Dok Nam Shyi) (10am-12pm, 2-4pm)
Hosted by
Lerab Ling - Rigpa
 
Jul 21
Teaching on Benefits and Practice of Taking Refuge (10am-12pm)
Refuge and Lay Vows Ceremony (2-4pm)
Hosted by
Lerab Ling - Rigpa
 
Veneux-Les Sablons
 Jul 27
Teaching on The 37 Practices of the Bodhisattva by Gyalse Tokme Zangpo (10am-12pm, 3-5pm)
Hosted by
Ganden Ling Veneux
Jul 28
Teaching on The 37 Practices of the Bodhisattva by Gyalse Tokme Zangpo (10am-12pm, 3-5pm)
Oral Transmission of The Wish Granting Jewel - The Condensed Essence of the Ritual According to the Sutra of the Bhagavan Master of Medicine, by Panchen Losang Chökyi Gyeltsen (3-5pm)
Hosted by
Ganden Ling Veneux
 
Paris
Jul 31
Hayagriva, Vajrapani and Garuda (Ta Chag Khyung Sum) Initiation (9:30am)
Location
L'institut de Services à la Culture Tibétaine, Pagode du bois de Vincennes,
Route de La Ceintures du Lac Daumesnil 75012 - Paris;
Metro: Porte Dorjee. Contact - 0680729054

Belgium

Antwerpen
Aug 3
Observe 5th Debate on Four Noble Truths (10am-2:30pm)
Hosted by
Shedroup Tengye Ling
 
Aug 4
White Tara Long Life Initiation (Tsewang) (9:30am-12:30pm)
Hosted by
Shedroup Tengye Ling

Ireland

Cork
Sep 28-29
TBA (TBA)
Hosted by
Dzogchen Beara - Rigpa

 


Interview de Rinpoche 2011

 

Source : ktclmalaysia

Traduction de l'anglais en français (par Yondöl lags - merci à elle) 

I : Bonjour Rinpoché,

Merci infiniment d’accepter de répondre à quelques questions aujourd’hui.

Rinpoché, quel est le but de la pratique du bouddhisme ?

Rinpoché : Le but de la pratique du bouddhisme est de parachever le bonheur de tous les êtres, humains et autres. Mais ce qui est spécifique au bouddhisme c’est que les moyens essentiels pour obtenir le bonheur et de se libérer des souffrances sont la recherche d’une voie qui permette de changer nos manières de penser et de percevoir les choses. Ceci pour la simple raison que, bien qu’existent en général de multiples sources de bonheur et de souffrance, les principales se trouvent en nous-même, dans notre esprit, qu’il est nécessaire de ce fait de les transformer. C’est ce que le Bouddha a enseigné.

I : Alors, que signifie pratiquer le bouddhisme ?

Rinpoché : Comme je viens juste de l’expliquer, étant donné qu’à l’origine ce sont nos propres manières de penser qui créent les problèmes que nous rencontrons, la principale méthode pour pratiquer le bouddhisme est de travailler en vue d’améliorer nos modes penser.

Nous avons d’innombrables sortes de pensées qui peuvent être classées en trois principales catégories :

-              Dans la première catégorie, nous trouvons les pensées qui ont un effet négatif sur nous

-              Dans le seconde, il y a celles qui nous sont toujours favorables quand elles se manifestent,

-              Dans la troisième, celles qui vont avoir pour nous un effet ni particulièrement bon ni particulièrement mauvais.

Pour améliorer nos pensées, par conséquent nous devons les reconnaître et ainsi, quoi que nous fassions, en activité ou au repos, nous devrions observer nos pensées. Quand nous découvrons qu’elles sont bonnes, nous devons les entretenir.

Quand nous au contraire nous identifions des pensées erronées, nous devons décider de nous y opposer, sachant qu’elles nous sont nuisibles.

C’est ainsi que nous devons procéder.

Mais qu’entend-on par mode de pensée bon ou mauvais ? Les « bonnes » pensées sont celles qui sont utiles pour nous et les autres comme vouloir le bonheur des autres, les aider, éprouver de l’amour, de l’affection, du respect envers eux.

Les « mauvaises » pensées et sentiments qui nuisent à nous-même et aux autres, ce sont par exemple la colère, l’obscurité mentale qui nous empêche de comprendre les phénomènes, la jalousie, le désir de critiquer les autres et ainsi de suite.

Ceux qui s’efforcent d’améliorer leur mode de pensée et qui parviennent à maintenir la plupart de pensées bénéfiques en leur esprit, verront leur qualité de vie s’améliorer de manière vaste. Ils en seront plus heureux et seront capables de rendre autour d’eux les autres plus heureux également – que ce soit les parents, le conjoint, les enfants, etc. - et ceci parce qu’ils ont continuellement des pensées de bonté envers les autres et le désir de ne pas leur nuire.

A titre d’exemple, les méthodes pour obtenir ce résultat sont la méditation, l’étude, la récitation de prières, faire des offrandes, pratiquer la générosité, aider les autres et beaucoup d’autres activités bénéfiques. Ce sont les moyens qui, comme je l’ai dit, consistent tout d’abord transformer son esprit.

I : Qu’est-ce que le Lamrim ?

Rinpoché : Pour comprendre ce qu’est le Lamrim, il est nécessaire de comprendre que tous les êtres souhaitent le bonheur et ne veulent pas de la souffrance. Toutefois, ils aspirent à différents niveaux de bonheur. Le but de certains est d’obtenir le bonheur et d’échapper à la souffrance exclusivement dans cette vie-même. D’autres visent le bonheur maintenant et dans leurs vies futures. Et enfin, voyant que même le bonheur dans les vies futures ne dure pas, les derniers aspirent à un bonheur durable qui, selon le bouddhisme, est un objectif réalisable.

Ainsi il y a trois niveaux, trois objectifs. En poursuivant le premier, le bonheur uniquement dans cette vie, n’est pas considéré comme valable car ce genre de bonheur est de trop courte durée – au grand maximum il peut durer 100 ans. Le rechercher seul est donc considéré comme une perte de temps et de potentiel humain, car nous avons besoin d'être heureux dans notre prochaine vie également.

En conséquence, le niveau minimum de bonheur qui vaille la peine d’être recherché est celui de notre vie future.

Toutefois, étant donné que le bonheur est aussi impermanent et qu’il alterne avec des périodes de malheur, il peut être considéré comme insatisfaisant, auquel cas, nous pouvons rechercher le bonheur de la libération qui, lui, jamais ne s’arrête.

De plus, nous pouvons ne pas nous contenter de notre bonheur personnel et, au contraire, souhaiter le bonheur pour tous les êtres et tout faire pour l’accomplir, ce qui est l’objectif le plus élevé possible.

Nous avons vu trois niveaux.

Pratiquer le Lamrim ou les étapes de la voie consiste par conséquent à étudier progressivement et travailler à appliquer les méthodes permettant d’atteindre ces trois objectifs.

I : Rinpoché, comment voyez-vous la mission du centre du Dharma Kadam Tashi Choeling ?

Rinpoché : Le Bouddha a enseigné d’innombrables méthodes pour que les êtres puissent obtenir le bonheur et se libérer des souffrances. Le rôle de Kadam Tashi Choeling est de donner l’opportunité à ceux qui s’y intéressent de se réunir pour tout d’abord apprendre ce qu’ils sont. Une fois qu’ils l’auront bien compris, l’idée est de ne pas se contenter de cette connaissance mais de la mettre en pratique, constamment, tout au long de leur vie.

Cela vous permettra d’améliorer progressivement vos comportements, de réduire vos défauts et erreurs et d’épanouir et accroître vos bonnes qualités.

Une fois parvenu à ce stade, l’objectif est de faire tout votre possible pour aider les amis, humains et autres êtres, à résoudre leurs difficultés et surmonter leurs souffrances, qui plus est, servir tous les êtres existant, spécialement l’humanité dans le monde où nous nous trouvons actuellement.

La principale fonction du centre est de faire de son mieux pour rendre cela possible.

I : Dans le bouddhisme il y a beaucoup d’écoles différentes. Alors, à quelle école bouddhiste Kadam Tashi Choeling appartient-il ?

Rinpoché : Bien qu’il y ait beaucoup d’écoles différentes dans le bouddhisme, qu’elles soient d’obédience theravada ou mahayana, elles partagent les mêmes fondamentaux.

De plus, à l’intérieur de chaque école, il y a de légères différences concernant les vues et les modes d’action. Ces nuances permettent de répondre aux besoins des auditeurs qui ont des facultés, des capacités variables.

A l’intérieur de la branche du bouddhisme mahayana, il y a le bouddhisme tibétain. Au Tibet, il y a quatre principales branches du bouddhisme. Kadam Tashi Choeling, ainsi que le suggère son nom, suit l’école kadampa fondée par les disciples tibétains du grand Maître indien, Dimpamkara Shri Jnana (Atisha). Il avait un grand nombre de disciples au Tibet.

Parmi eux, on observe les traditions spécifiques au monastère de Dagpo Shedrup Ling concernant la manière d’étudier etc.

I : Rinpoché, il y a de nombreuses religions différentes dans le monde. Quelle est la place du bouddhisme ?

Rinpoché : Ainsi que vous le soulignez, il y a en effet beaucoup de religions dans le monde et je pense que c’est très important que cela soit ainsi.

Elles sont inestimables car, compte tenu d’une population très nombreuse dans le monde et le fait que tous les gens ont des points de vue différents, il est inconcevable qu’une seule et unique religion puis être bénéfique à chacun d’eux.

Chacun a besoin d’une méthode pour obtenir le bonheur qui corresponde à ses propres capacités et aspirations. Quand existe une variété de religions, les gens peuvent choisir celle qui est la meilleure pour eux. Quand quelqu’un a trouvé une religion qui lui convient et qu’il l’a choisie, il est important de la comprendre profondément et de bien la pratiquer.

De plus, sachant que chaque religion permet à un nombre incalculable de personnes de surmonter leurs problèmes et d’obtenir plus de bonheur, en tant que bouddhistes nous accordons une profonde importance et respectons d’autres religions que la nôtre.

Nous pratiquons la religion qui nous correspond le mieux et par rapport aux autres religions nous admettons que si, à ce stade, elles ne sont pas faites pour nous, elles sont cependant très bénéfiques à de nombreuses autres personnes et de ce fait, elles ont une importance vitale. Par conséquent, nous les chérissons toutes comme nous chérissons notre propre religion.

I : Rinpoché, je me considère comme une bouddhiste. Mais pourriez-vous, s’il vous plaît expliquer ce qu’est être bouddhiste ?

Rinpoché : Un bouddhiste est quelqu’un qui a foi en les activités du Bouddha, qui y prend plaisir et croit en ce qu’il enseigne. Sur cette base, il prend refuge en le Bouddha ou, en d’autres mots, il place sa confiance en lui.

Il y a plusieurs façons de placer sa confiance en le Bouddha, mais la première est de chercher sa protection contre vos problèmes et pour trouver un bonheur plus grand.

Mais le plus important est de faire ce que le Bouddha a enseigné de faire. Ceci signifie étudier ce qu’il a enseigné, réfléchir à ses paroles et, ensuite, méditer. Cela va permettre de progressivement s’améliorer, progresser. Il est important d’espérer et de prier pour devenir Bouddha, car, si on peut parvenir à devenir Bouddha, alors on peut à notre tour aider un nombre incalculable d’autres êtres.

Obtenir l’état de Bouddha est donc l’objectif principal.

 

I : Merci beaucoup d’avoir bien voulu partager votre temps, Rinpoché. Merci


jeudi 16 mai 2024

lundi 13 mai 2024

S S le Dalaï lama et les animaux

30 millions d'amis

Une jolie vidéo

vendredi 10 mai 2024

Vesak 2024 selon le calendrier tibétain


Selon le calendrier lunaire tibétain 

(N.B. dans d'autres pays d'Asie, les calculs sont différents) 


 En 2024, la 4ème lunaison, dénommée "Sagadawa" en tibétain, et Vesak en sanskrit et en pali, 

coïncide à la période qui va    

 

du 9 mai au 6 juin inclus, 

 
avec pour point culminant

 

le 15ème jour de la 4ème lunaison,

soit le 23 mai 2024.


Le mois de Vesak est le mois le plus important du calendrier bouddhiste, car Vesak est le temps où la plupart des bouddhistes commémorent à la fois la naissance,  l'Éveil et le parinirvana du Bouddha Shakyamouni.


La première moitié du mois de Vesak est considéré comme particulièrement bénéfique. Comme il est notoire que toutes les actions alors accomplies sont d'une extrême puissance, nombreuses sont les personnes qui multiplient les pratiques vertueuses, comme de racheter et libérer des animaux sinon voués à une mort imminente (tshe thar), prendre soin de personnes (animaux compris) âgées et/ou malades, s'abstenir de viande, font des retraites, etc., etc.  

 

En société tibétaine, pendant cette période, les bouddhistes organisent des processions de prières, des cérémonies de chant, de danse, de méditation et de dons. Les fidèles se rassemblent dans les temples et les sanctuaires pour prier et allumer des lampes à beurre. Des drapeaux de prière colorés sont suspendus dans les temples, les villages et les collines, symbolisant les prières pour la paix et le bien-être.

 

jeudi 9 mai 2024

Vesak 2024 UBF

Le dimanche 2 juin 2024 
 
sous l’égide de l’Union Bouddhiste de France 
 
les centres bouddhistes d’Ile-de-France proposent 
 
 
Entrée libre
 
Lieu : Grande Pagode du bois de Vincennes Route de la Ceinture du Lac Daumesnil 75012 - Paris

Métro :  Porte Dorée

Contact : centresbouddhistes-idf.org

mercredi 8 mai 2024

Le pigeon devenu pandit

Kyabjé Dorjéchang, l'ami des animaux, un exemple unique parmi les dignitaires bouddhistes ?
Certes non.

Rappelons-nous Atisha qui, après son arrivée au Tibet en 1042, se fait - mais oui - morigéner par son disciple Kutön. L'altier seigneur lui reproche de caresser les animaux qu'il a, lui aussi, sauvés du boucher. Franchement, ce ne sont pas des choses qui se font chez les nobles Tibétains.
Atisha n'en a cure et rétorque qu'il n'est pas un noble tibétain...
Pire ! Atisha leur parle, et leur dit des mots doux. Il les appelle tendrement "ses vieilles mères" et leur demande : "Mais qu'as-tu donc fait pour te retrouver dans un état pareil ?" Puis il leur murmure des prières à l'oreille. Pour que leur prochaine naissance soit meilleure.

Et ça peut marcher ! Le Pandit Sthiramati en a fait la preuve.

Sthiramati, disciple de Vasubandhu, est réputé pour avoir surpassé les connaissances de son Maître dans le domaine de l'Abhidharma. Ce qui n'est pas peu dire. Mais comment en est-il arrivé à un tel niveau ?
Selon les chroniques, dans sa vie précédente, il était un pigeon, lequel avait élu domicile dans la frondaison d'un arbre. Rien d'étonnant, me direz-vous. Oui, sauf que c'était l'arbre à l'abri sous lequel Vasubandhu avait coutume de s'installer - dans une baignoire pleine d'huile, pour éviter les tensions nerveuses ! - quand il récitait les innombrables textes qu'il avait mémorisés.
Un jour, le pigeon meurt et renaît dans une famille à l'autre bout de l'Inde. Sitôt né, le bébé lance à son père : "Où est mon Maître ? - Qui est ce Maître ?, demande en retour Cudra, pas plus étonné que cela (mais c'est un Indien, pour qui la réincarnation est une évidence). - Vasubandhu."
En père attentionné, Cudra se renseigne auprès de commerçants et finit par découvrir que Vasubandhu réside dans le Centre du pays. Et dès que son fils est assez grand pour entreprendre le long voyage, il l'amène à son Maître ! Exemple d'amour paternel, totalement désintéressé... 

mardi 7 mai 2024

Kyabjé Ling Dorjéchang et son mouton

 Non, ce n'est pas une fable que je m'apprête à vous narrer. Juste un épisode de la vie de l'un des plus grands Maîtres tibétains du XXème siècle : Kyabjé Ling Dorjéchang, qui fut le Tuteur Senior de S.S. le 14ème Dalaï Lama et aussi Ganden Tripa - chef suprême de l'école des gélugpa, les "vertueux", très à cheval sur l'observance des règles du vinaya.

À propos de cheval, aujourd'hui, ce n'est pas de la monture du hiérarque dont je souhaite vous entretenir - il y aurait pourtant bien des anecdotes à vous narrer, car Kyabjé Dorjéchang avait un lien très fort avec sa jument également.
Je viens vous parler de Tsering, "Longue Vie", le mouton apprivoisé du Maître qui le suivait dans les ruelles de Lhasa comme un chien fidèle.

A l'époque, le jeune Lama dirige d'une poigne de fer le collège tantrique de Gyutö. Un jour qu'il se trouve sur le toit du temple - du fait du climat, les toitures tibétaines sont traditionnellement plates et servent de terrasses -, il jette un coup d'œil au spectacle des rues en contre-bas, et horreur ! il aperçoit près de l'étal d'un boucher un malheureux mouton déjà tout ficelé, prêt à être égorgé. Sans perdre de temps, il expédie un de ses assistants pour racheter l'animal, avant immolation bien sûr. C'est une pratique courante en société bouddhiste que de sauver des bêtes de boucherie : en protégeant ainsi la vie d'autrui, on acquiert d'excellents karma, gages de longévité et de santé pour l'avenir.

In extremis, le mouton échappe au couteau et se retrouve au monastère pour quelques jours, puis Kyabjé Dorjéchang l'emmène chez lui, dans son ermitage, où il a déjà tout un cheptel sous sa protection diligente, et affectueuse. Il noue une relation de confiance avec Tsering, qui bientôt le suit partout comme un toutou. Les jours de congé et de beau temps, le Maître attache un petit ballot sur le dos de son compagnon, et les voilà partis tous les deux au bord de la rivière. Tandis que l'un lit ou écrit installé sur le petit tapis porté par Tsering, l'autre paisse tranquillement sans jamais s'éloigner.

Kyabjé Dorjéchang, qui connaissait bien ses compatriotes, n'avait de cesse de les inciter à bien traiter les animaux. Tous les animaux. Et il donnait l'exemple.

Ainsi, devenu professeur du tout jeune Dalaï Lama, quand il se rend pour la leçon quotidienne au Norbu Lingka, il a toujours, dans les plis de ses vêtements, des friandises destinées à la population animale du Palais d'été. Les singes le savent bien , et ils se précipitent vers lui, fouillant ses poches sans aucune considération pour son rang, mais avec une confiance touchante.

Les Maîtres et les animaux

Dans les traces d'Atisha, Lochen Rinpoche, qui caresse sur cette photo un chien de garde d'origine "tibétaine", recueille souvent des animaux errants.

 Actuellement, Lochen Rinpoche séjourne en France pour quelques semaines et le gros chien qu'il a récemment adopté l'attend avec impatience au monastère de Dagpo Datsang, à Kaïs.

Lochen Rinpoche m'a un jour raconté que, lorsqu'il était astreint au travail obligatoire au Tibet, plutôt que de passer la nuit dans la promiscuité du baraquement, il avait obtenu la permission des gardes de se construire dehors un petit abri, ouvert à tous les vents - trois planches pour les murs et un bout de tôle ondulée en guise de toit. Trois chats lui tenaient compagnie à l'époque.

En Inde, je ne l'ai jamais vu sans au moins un chien, et souvent plusieurs. Sans oublier les oiseaux nourris régulièrement.

Atisha et les animaux

 Dans les années 1045, le Pandit indien Atisha étonnait, et même choquait certains de ses disciples tibétains, de rudes nomades, en se montrant doux et affectueux avec les animaux. Il les caressait tout en leur parlant : tantôt il leur disait à l'oreille des soutras ou des mantras, de manière à déposer en eux des empreintes positives pour leur avenir, tantôt il leur demandait avec amour et compassion : "Mais qu'as-tu donc fait pour te retrouver dans cet état, ma vieille mère ?"

Atisha sauva des centaines et des centaines d'animaux auxquels il permit de mourir de "leur belle mort", comme l'on dit.

jeudi 14 mars 2024

Jouer le bon sens contre la susceptibilité ?

 L'époque est morose. 

Comment renforcer le bon sens et surmonter la susceptibilité ? 


C'est sûrement possible. Même de nos jours !

Si on cherche dans les outils du bouddhisme, sans doute que des réflexions et méditations portant - par exemple (liste non exhaustive) - sur l'impermanence, la loi de causalité, ou encore le non-soi, ou l'autochérissement, la bienveillance des autres êtres à notre égard, la gratitude envers eux, cela pourrait aider un peu.

La patience aussi, sans doute.

L'aumônerie carcérale bouddhiste

 Émission Sagesses bouddhistes du 10 mars 2024

 


Thème : L’aumônerie carcérale au sein de l’Union Bouddhiste de France 

 Invitée : Lama Droupgyu 

Regards sur l’aumônerie carcérale, une des principales actions de l’Union Bouddhiste de France, fédération qui assure les liens entre les centres et associations bouddhistes de France et les Pouvoirs Publics. 

Créé il y a de nombreuses années, sous l’égide du Ministère de la justice et du Ministère de l’Intérieur, cette aumônerie répond aux nombreux questionnements posés par les détenus et tente ainsi d’apporter par sa présence, quelques bienfaits et réconfort. 

Réalisation : Christophe Coutens 

Présentation : Aurélie Godefroy

Prix des femmes exceptionnelles dans le bouddhisme

 Toutes mes félicitations à mon amie Lama Droupgyu, 

premier aumônier national bouddhiste en milieu carcéral

récipiendaire 2024

 


La Fondation du Centre international de méditation des femmes (IWMCF) a sélectionné 31 récipiendaires pour son prix des femmes exceptionnelles dans le bouddhisme pour 2024, qui a coïncidé avec la Journée internationale de la femme vendredi.

Initiative de deux moines bouddhistes, Bhikkhuni Rattanavali de Thaïlande et Bhikkhuni Dr. Lee des États-Unis, l’IWMCF a commencé à décerner le Prix des femmes exceptionnelles dans le bouddhisme aux femmes bouddhistes en 2002, à l’occasion de la Journée internationale de la femme des Nations Unies, afin de reconnaître et mettre en valeur leurs contributions mondiales. Le prix IWMCF récompense les réalisations et l’excellence dans quatre catégories : pratique méditative ; Travail social et développement communautaire ; Propagation du Dharma ; et l’activisme pour la paix.

Les récipiendaires du Prix des femmes exceptionnelles dans le bouddhisme de cette année sont :

1. Bhikkhuni Bharmmasara de Thaïlande
2. Bhikkhuni Dhamma Khema de Thaïlande
3. Bhikkhuni Gautami du Bangladesh
4. Bhikshuni Chang-An Shih de Taïwan
5. Bhikshuni Dr. Bich Lien des États-Unis
6. Bhikshuni Lama Karma Droupgyu Wangmo de France
7. Chanyanat Sanpakdithai du Cambodge/Thaïlande
8. Ching Wi Yap de Singapour
9. Mei-Ru Huang de Taïwan
10. Ursula Lyon d’Autriche
11. Bhikkhuni Khamesi Guruma du Népal
12. Bhikkhuni Sumangala de Malaisie
13. Bhikshuni Clear Grace Dayananda des États-Unis
14. Bhikshuni Shik Chuan Wen de Malaisie
15. Bhikshuni Tian-De Shih de Taïwan
16. Bhikshuni Yi Xin de Taïwan
17. Dr Ching-Chin Lin Wang de Taïwan
18. Dr Sirikarn Techa-apichok de Thaïlande
19.
Katharina Kobel-Shepherd de Suisse
20. Khine Hnin Wai du Myanmar
21. Maechee Dr Bunrueng Bunpanya de Thaïlande
22. Maechee Dr Srisuda Tuamsomboon de Thaïlande
23. Maechee Dr Subin Phonlamai de Thaïlande
24. Très Vénérable Bhikkhuni Abhinanda Riditohtuwee Maha Theri du Sri Lanka
25. Très Vénérable Bhikkhuni Dhammawati Guruma du Népal
26. Très vénérable Bhikshuni Gwang Yong de Corée du Sud
27. Très vénérable Bhikshuni Xiu-Neng Shih de Taiwan
28. Très vénérable Bhikshuni Zhang-Xin Shih de Taiwan
29. Saskia Graf d’Allemagne
30. Vén. Dr Pooja Dabral d’Inde
31. Zhou Xiupen de Taïwan

 

mercredi 7 février 2024

Les jatakas, récits des vies antérieures du Bouddha Shakymouni

Sur la toile, cliquer ici.

Par la lecture :

La Liane magique, Les haut faits du Bodhisattva, par Kshemendra


Il existe en fait de nombreux ouvrages proposant diverses versions de divers Jatakas.

Ces récits décrivent la mise en œuvre des paramitas ("perfections") 

et illustrent la loi de causalité : les relations entre les karmas et leurs effets.


Émission Sagesses bouddhistes, avec Véronique Crombé sur le thème :

Les jatakas et leurs représentations dans l'art bouddhique


Exemple d'enseignements véhiculés par les Jatakas

Un exemple intéressant :  

Le Dasa-raja-dhamma, texte des Jataka (récits des vies antérieures du Bouddha Shakyamouni),  énonce les dix devoirs d’un roi :

1. La générosité, qui suppose d’utiliser les biens et richesses au profit de la population, et non pour lui-même.
2. Une éthique élevée 
3. L’abnégation, qui consiste à accorder la priorité à l’intérêt de la population, 
4. L'honnêteté et l'intégrité
5. L’amabilité et la douceur
6. Un train de vie simple, sans luxe ni ostentation
7. L'absence de haine et de rancune
8. La non-violence
9. La patience, dont la capacité à supporter les critiques et insultes
10. Le souci de l’harmonie, en respectant la volonté populaire.

Insistant sur l'importance de la stabilité économique, le Bouddha estime que la politique d'un État doit concourir à quatre objectifs :
1. La sécurité économique
2. La prospérité économique
3. L’absence de dettes
4. La moralité des mœurs et coutumes

Mönlam 2024

 

 À partir du 4ème jour du 1er mois lunaire (12 février), les bouddhistes tibétains et apparentés célèbrent le Mönlam སྨོན་ལམ་ཆེན་མོ་, littéralement "la Grande Prière", qui va se terminer en apothéose le 15ème jour avec la "grande fête des miracles" ཆོ་འཕྲུལ་དུས་ཆེན, cette année le 24 février.

Cette période commémore les joutes en pouvoirs supranormaux, qui opposèrent autrefois à Shravasti le Bouddha Shakyamouni et six grands Maîtres hindouistes, et dont le Bouddha sortit vainqueur. 


Depuis son instauration à Lhasa par Jé Tsongkhapa en 1409, le Mönlam est l'une des plus grandes fêtes tibétaines.


Traditionnellement, c'était durant le Mönlam placé sous la présidence du Ganden Tripa (le chef suprême de l'école gelugpa) que se déroulaient les examens finaux des geshe lharampa, le titre le plus prestigieux chez les érudits gelugpa. 


Par ailleurs, le Ganden Tripa exposait chaque jour des Jataka : épisodes des vies antérieures du Bouddha Shakyamouni, alors qu'il était encore bodhisattva et s'entraînait aux six paramitas, la générosité, l'éthique, la patience, l'enthousiasme, la concentration et la sagesse.

mercredi 31 janvier 2024

Zanskar

 Les photos et le film sont sans doute jolis et pourquoi pas inspirants.




jeudi 25 janvier 2024

Vie humaine disponible et qualifiée

Il est souvent dit, lors des enseignements bouddhistes, que nous devrions nous réjouir d'avoir une vie humaine "disponible et qualifiée", et qu'il serait extrêmement regrettable de ne pas en tirer parti pour progresser - sur le plan spirituel, bien sûr.

 Qu'entend-on par là ?

    * Notre vie humaine est "disponible" : du fait qu'elle échappe à 8 non-libertés (4 types de naissances non-humaines, 4 types de naissances humaines moins favorables - sous-entendu pour pratiquer le Dharma), elle comporte 8 libertés, ou encore 8 disponibilités (il y a également deux mots en tibétain) :
 

1) Ne pas être né dans les enfers ; ne pas être né comme preta (esprit avide) ; ne pas être né comme animal ; ne pas être né comme déité à longue vie.
2) Ne pas être né dans un pays où le Dharma ne serait pas enseigné ; ne pas être né à une époque où aucun Bouddha n'est apparu ; ne pas avoir de facultés déficientes ; ne pas entretenir de vues fausses.

 

* Notre vie humaine est "qualifiée" (pour pratiquer le Dharma) si elle comporte 10 attributs (ou encore atouts) : 5 intérieurs à soi, 5 extérieurs à soi.

Les cinq attributs personnels : être né humain ; être né dans un pays "central" (où le Dharma est répandu) ; jouir de facultés intactes ; être exempt des cinq actes les pires (avoir versé volontairement le sang d'un Bouddha, avoir tué un arhat, son père, sa mère, avoir suscité un schisme dans la communauté monastique) ; avoir confiance dans le Dharma

 

Les cinq attributs extérieurs : venue d'un Bouddha ; exposé de l'Enseignement ; pérennité de l'Enseignement ; existence de disciples appliquant l'Enseignement ; entourage favorable à la pratique.


vendredi 19 janvier 2024

De la pudibonderie

Importante question de société. Cela donne matière à réflexion...

" TRIBUNE de l'écrivain Grégory Le Floch, dans l’Obs

Lettre à mes élèves d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Quand j’avais votre âge, je souhaitais déjà devenir professeur car je savais que je m’épanouirais aux côtés de ceux qui ont l’âge des grands emballements, des grands enthousiasmes qui vous font plonger des mois durant dans les Rougon-Macquart ou les romans des sœurs Brontë. Etre professeur, c’est être dans le cœur de ce qui est important, dans le bouillonnement.

Mais parmi vous monte quelque chose qui m’inquiète et contre lequel je bute, quelque chose de bruyant et qui hurle : tout sera bientôt impossible. Je l’ai vu presque partout, dans tous les établissements où j’ai enseigné : une morale rabougrie et aveugle, qui n’est ni de votre âge ni de notre siècle. Nul besoin de fréquenter une école pour le savoir. Le phénomène est si important dorénavant qu’il est dans la presse depuis quelques années. Dernier événement en date : une professeure de français diffamée et accusée d’islamophobie, pour avoir montré un tableau du XVIIe siècle peint par Cavalier d’Arpin [de son vrai nom Guiseppe Cesari, NDLR] représentant Actéon qui surprend Diane et ses nymphes, nues, au bain.

Cet incident n’est pas anecdotique. Il témoigne d’un mouvement profond qui transforme le rapport de certains élèves à l’art. Ce changement, je l’ai moi-même observé dans mes classes au cours de mes treize années d’enseignement au collège et au lycée. Pour que ceux qui n’ont pas un lien concret et direct avec l’école d’aujourd’hui sachent réellement de quoi je parle, voici quelques faits bruts qui me restent en mémoire :

Je montre un épisode d’une série documentaire (« les Grands Mythes » narrés par François Busnel) : des élèves se cachent les yeux aussitôt qu’apparaît à l’écran le dessin d’une déesse nue. Sur leur visage : indignation et dégoût.

Des élèves de terminale m’expliquent dans leur dissertation qu’ils regrettent que Flaubert n’ait pas été condamné lors de son procès de 1857 pour outrage aux bonnes mœurs. S’ils le pouvaient, ils interdiraient aujourd’hui « Madame Bovary ».

Des élèves me disent que je suis « sale » parce que j’ai lu « la Religieuse » de Diderot dont je leur résume l’argument.

Des élèves s’offusquent de voir des personnages de prostituées chez Maupassant, Zola, Hugo.

Un élève menace de me dénoncer à son père parce que nous lisons et étudions en classe une scène de « Roméo et Juliette » où les deux amants s’embrassent.

Une élève refuse de regarder un dessin de Man Ray illustrant un poème de Paul Eluard dans « les Mains libres » car il représente une femme nue. Jusqu’à la fin du cours, afin de le dissimuler à sa vue, elle couvrira le dessin de sa main.

Une obsession de la pureté

Que me disent ces élèves pour justifier leur réaction ? Le sujet de l’œuvre étudiée est tout simplement et incontestablement immoral. Il heurte leur sensibilité, leur pudeur, leur religion. Etais-je donc insensible, impudique et dévoyé, moi qui lisais ces œuvres au même âge qu’eux ?

Autre fait parlant : la première fois que l’on m’a confié des terminales littéraires, j’ai voulu leur faire découvrir les grands musées parisiens. Le projet reposait sur le volontariat. Rien de formel : tout était libre. Nous avons commencé par l’Institut du Monde arabe, mes élèves furent au rendez-vous et ce fut un succès réjouissant. La conversation après la visite m’a montré des élèves curieux et intéressés. La semaine suivante, au tour du Musée d’Orsay. Mais à l’heure convenue, il n’y eut qu’une maigre poignée d’élèves (dans mon souvenir, deux). Le lendemain, en classe, j’eus l’explication : ils avaient vu sur internet que le Musée d’Orsay exposait des statues de femmes nues. Rédhibitoire.

Ces élèves n’étaient ni insolents ni perturbateurs, ils avaient même un assez bon niveau. Mais face à ce refus de voir et de lire, j’avais beau argumenter, expliquer qu’il s’agissait de représentations et de fictions, j’échouais systématiquement. A leurs yeux j’étais perdu, perverti.

Une partie du programme proposé par l’Education nationale était à leurs yeux indécente et, disons le mot, pornographique. Je me souviens qu’une élève de terminale est venue me trouver à la fin d’un cours sur le surréalisme pour me dire qu’elle priait pour moi. Mon âme était condamnée. La leur était sauvée.

Mais dans ma chute en enfer, je comprenais certaines choses.

Il y a parmi ces élèves une obsession de la pureté et, de facto, de la souillure qu’ils traquent partout, même où elle n’est pas. On ne doit, selon eux, ni penser le corps ni penser son langage particulier. L’idéal dont ils rêvent : un monde expurgé de tout désir apparent. Les conséquences sont considérables. Pour moi, c’est la censure. Pour eux, c’est bien pire : une négation du corps, un refoulement du désir, une incapacité à se comprendre soi-même. Qu’adviendra-t-il de ces jeunes femmes et jeunes hommes vivant avec un tel impensé de ce qui bouillonne en eux ? La littérature n’est-elle pas tout occupée à fouiller, modeler, éclairer les forces étouffées qui nous travaillent ? N’est-ce pas grâce à elle que nous parvenons à mieux nous comprendre, à mieux nous maîtriser ?

Leur bigoterie est redoutable car elle n’est ni honteuse ni dissimulée. Elle se revendique fièrement, bruyamment. Ce refus de voir et de lire est bavard, il dit : « Je suis pur et vous êtes corrompu. » Il dit : « Je m’élève et vous vous abaissez ». Il opère un retournement : le professeur est sermonné, remis dans le droit chemin, catéchisé par ses élèves qui prennent le pouvoir. « On ne montre pas ça, on n’écrit pas ça, on ne peint pas ça. Tirez le rideau sur ces pulsions. Cachez ! Cachez ! Cachez ! »

N’édulcorons pas, ne coupons pas, n’ayons pas peur

Ce qui m’inquiète le plus n’est pas ce retour à un ordre moral. La littérature en a affronté d’autres. Peut-être même a-t-il le mérite de revivifier des œuvres dont nous avons aujourd’hui du mal à percevoir la dimension scandaleuse de leur genèse. Non, ce qui m’alarme est ce nouveau rapport à la littérature qui s’installe : littéral, religieux, refusant l’interprétation. La littéralité signifie la mort de la littérature. Pour ces élèves, ce qui est écrit doit être vrai et se donner pour modèle aux lecteurs. La littérature deviendrait un édifiant manuel de bonne conduite, un guide de développement personnel, une suite de préceptes moraux et religieux. Car surtout la littérature ne doit pas gêner. C’est une vision arrangeante voire complaisante de la littérature que ces élèves nous proposent

Alors que faire ? Une seule solution : réaffirmer ce qu’est ou doit être la littérature, c’est-à-dire un art qui par essence remet en question, déstabilise et bouleverse le lecteur. Un art qui s’épanouit en dehors de toute considération morale et qui ne flattera jamais les illusions ni les préconçus. Car la littérature ne cajole pas, elle désaxe, décentre, désosse le lecteur pour lui permettre de penser autrement, contre lui-même, en entrant dans la pensée d’un autre.

Nous, professeurs, plongeons nos élèves dans Baudelaire, Brontë et Kafka. Lisons avec eux les tragédies antiques. Suscitons l’émoi, le désir, le frisson. Eduquons-les à voir et comprendre ce qui grouille et se soulève en eux lorsqu’ils aperçoivent la représentation d’un corps nu, lorsqu’ils lisent la vie de Fantine ou de Nana. N’édulcorons pas, ne coupons pas, n’ayons pas peur. Réaffirmons sans cesse les droits de la fiction, le pouvoir de l’imaginaire, le rôle transgressif des textes. Préservons l’espace de liberté qui s’ouvre à nous lorsque nous lisons.

Je m’adresse pour finir à mes élèves d’hier, d’aujourd’hui et demain : en classe nous vous faisons lire des textes qui vous transformeront nécessairement. C’est ainsi qu’opère la littérature, elle vous extirpe de vous-mêmes, de votre monde, de votre morale. Cela peut faire peur, je le comprends très bien : on ne quitte pas un univers familier pour l’inconnu si facilement que cela. Il y a une violence nécessaire à grandir, mûrir et abandonner ce en quoi l’on croyait. Mais il y a surtout un plaisir immense à éclore sous une nouvelle forme. Car voici notre rôle : vous permettre un mouvement intérieur de l’esprit et de l’âme. Et ce mouvement d’éclosion, cet accouchement de vous-mêmes, ne viendra que grâce aux savoirs que nous vous enseignons, que grâce aux arts auxquels nous vous initions. Ne croyez pas les fanatiques et les obscurantistes qui vous disent le contraire, ils vous mentent. Ce mouvement, nous devons vous l’imposer car lui seul permettra ce que votre nom d’élève vous a promis dès lors que vous êtes entrés dans une école et que nous nous sommes rencontrés : vous élever au-dessus de vous-mêmes.

Né en 1986, Grégory Le Floch est professeur de lettres et écrivain. En 2020, il publie son premier roman « De parcourir le monde et d’y rôder » (éd. Christian Bourgois). Suivent en 2023 « Gloria, Gloria » chez le même éditeur et « Eloge de la plage » aux éditions Payot & Rivages. Il préside la Société des Amis de Gabrielle Wittkop."