Le Pandit Atisha est pour nous une référence constante ; c'est pourquoi je vais condenser quelques points essentiels de sa vie. Pas relater sa
vie entière : d'une part, ce serait trop long ici ; d'autre part, d'excellentes biographies de lui sont disponibles en
beaucoup de langues, y compris le français.
Son nom est Dipamkara
Shrijnana, "Celui qui fait la lumière grâce à sa glorieuse sagesse
suprême". Atisha est en fait un titre, extrêmement honorifique, que
faute de mieux l'on rend en français par "seigneur". L'équivalent
tibétain est "jowo" (ཇོ་བོ་), de sorte que les nombreux Tibétains qui,
soucieux de marquer leur vénération vis-à-vis du Maître, l'appellent
Jowo Atisha, disent - j'imagine sans trop s'en rendre compte - :
"Seigneur Seigneur" .
Après tout, pourquoi pas ? Mais cela
démontre ô combien le roi du Tibet Rälpacän (629–877) avait raison quand il interdisait de
traduire les noms propres (cf. article Les Lotsawa de jadis n° 2) : non
seulement on ne sait plus de qui on parle, mais tel nom magnifique dans
une langue frise le ridicule dans une autre. Ainsi, moi qui savoure
les consonances du nom "Ganden" n'apprécierait guère qu'on me
parle du "Monastère Joyeux", ou "Monastères des Joyeux", voire
"Joyeux Monastère", ou encore "Monastère des Ravis", tant qu'on y est.
Vous admettrez que cela n'a pas le même écho !
Le lien avec
Atisha ? C'est que la Terre pure de Ganden (en sanskrit Tushita) est, dit-on, sa résidence
actuelle, en présence du Bouddha Maitreya et en compagnie de tant
d'autres personnages prestigieux.
Lors de l'existence humaine qui
nous intéresse, Atisha est un Bengali de souche royale qui, très jeune,
renonce aux apanages de son rang pour s'adonner à la pratique
spirituelle. Après avoir pratiqué les tantras en tant que yogi dans des
lieux écartés et sauvages, il devient moine relativement tard, vers la
trentaine. N'oublions pas que nous sommes au XIe siècle ; à l'aune de
l'espérance de vie européenne de l'époque, c'aurait déjà été un
vieillard. Apparemment pas en Inde, car il entame à peine une longue
carrière bien remplie.
Ce grand penseur n'a rien d'un sédentaire.
Lors de la périlleuse traversée de 12 mois qui le mène vers son Maître
principal Serlingpa, il fait escale dans de nombreuses îles avant
d'atteindre sa destination, soit Java soit Sumatra – la question reste à
trancher. Ce n'était pas tout d'y aller ; encore faut-il revenir. Il y
réussit. Il est désormais le dépositaire des précieuses instructions
relatives à l'esprit d'Éveil, et sa réputation s'amplifie au Pays des
Aryas. Il a dû retraverser toute la péninsule avec le confort que vous
imaginez (encore aujourd'hui c'est long et fatigant) pour regagner les
grandes universités monastiques du nord et se voit confier des fonctions
élevées à Nalanda, Odantapuri et surtout Vikramashila. C'est là qu'il
reçoit des visiteurs qui ont franchi l'Himalaya pour le prier de bien
vouloir venir dans leur Tibet natal, afin d'y restaurer l'Enseignement
du Bouddha quelque peu malmené depuis un bon demi-siècle.
Je
passerai sur les péripéties et autres rebondissements qui aboutissent en
1042 à l'arrivée d'Atisha dans le Ngari. Si je calcule bien, le Pandit a
donc 60 ans révolus ! Il sait que l'expédition tibétaine va écourter sa
vie – Tara l'en a prévenu, et c'est de toute façon prévisible. Voyages
éreintants. Chocs climatiques. Changement radical d'altitude, en
passant de la plaine aux montagnes les plus hautes. Régimes alimentaires
totalement différents. Quant aux mœurs et coutumes…
Pour
accomplir le bien des être, Atisha accepte tout. Il supporte tout. Le
prince raffiné cohabite de bonne grâce avec les rudes (rustres ?)
montagnards. Il va jusqu'à apprendre leur langue. Mais il n'adopte pas
toutes leurs habitudes. Il demeure doux et conciliant, toujours
disponible pour tous, animaux y compris. Cela surprend. Cela choque même
certains. Le fier Seigneur Kutön lui remontre que, si en Inde on
condescend à parler à tout le monde avec aménité, ici ce n'est pas
l'usage. Il faudrait quand même que le Maître tienne son rang. Le Maître
écoute, sourit et … persiste. Il va jusqu'à caresser avec tendresse les
bêtes qu'il a récupérées pour les sauver du couteau. Pire, il leur
parle ! Et il s'adresse à elles en les appelant "mes vieilles mères".
C'est
qu'Atisha a les plus hautes réalisations. Il sait que chaque être lui a
servi de mères un nombre incalculable de fois dans le passé, sous
toutes les formes, dans toutes les sphères. Il sait qu'alors et en bien
d'autres circonstances chaque être a été pour lui d'une infinie
bienveillance. Éperdu de gratitude, il mesure la souffrance de ses
proches enlisés dans leurs passions et leurs certitudes fallacieuses.
Il sait aussi qu'heureusement tous ont potentiellement la faculté
d'évoluer jusqu'à obtenir la libération du samsara et même l'omniscience
de Bouddha. Comment n'éprouverait-il pas le plus grand respect pour
toutes les créatures ? Pourquoi ferait-il une différence entre elles,
qui montrent sans doute ponctuellement des aspects divers, mais sont au
fond soumises aux mêmes obstacles et porteuses des mêmes espérances ?
Aujourd'hui l'un est roi, l'autre esclave ; demain ce sera le contraire.
Mais un jour les deux seront enfin boudddhas.
Le sage versé tant
en philosophie qu'en tantra ne cesse, au Tibet, d'enseigner … la prise
de refuge et la loi de causalité, ce qui lui vaudra deux surnoms.
D'être ainsi appelé (avec un certain dépit de la part de certains qui
réclament des instructions "profondes") ravit Atisha : comme cela,
dit-il, rien qu'en entendant parler de moi, "le lama de la prise de
refuge" ou "le lama de la causalité", les gens acquerront de bonnes
empreintes. Et cela leur indiquera l'essentiel." En réalité, bien
comprise, toute facette de la voie inclut la totalité. Ce n'est pas une
excuse pour vouloir dès le début viser les pratiques les plus élevées :
elles sont alors inaccessibles et donc infructueuses, tandis que si,
avec humilité, on commence par la base, on peut ensuite l'élargir
jusqu'à y intégrer l'ensemble.
Voilà qui était Atisha : un
authentique Seigneur, aimable et courageux ; doux et endurant ; modeste
et sûr de lui ; érudit et simple, la liste de ses qualités se déroulant à
l'infini : logique, quand on sait qu'il est aussi considéré comme une émanation du Bouddha Amitabha.
Le blog de MSB. Indications historiques, anecdotiques voire doctrinales sur le bouddhisme.
mardi 17 décembre 2024
Atisha (982-1054)
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