L'EPOQUE D'EDO (1603-1867)
1) Une organisation très hiérarchisée et les signes de décadence
Avec l'instauration du Bakufu d'Edo commencent deux siècles et demi de paix relative et de stagnation sociale. Le nouveau régime se caractérise par une réglementation extrêmement stricte de tous les domaines de la société; même l'habillement est fixé par le gouvernement. Les droits fondamentaux ne sont pas reconnus et la liberté de choisir librement son métier ou sa religion est un rêve interdit.
C'est la période de l'histoire du Japon la plus noire pour les femmes : la suprématie de l'homme est indiscutable. Sous l'influence du confucianisme, les idées de "loyauté envers le maître" et de "piété filiale" sont devenues l'idéal des Japonais (tendance soigneusement entretenue par les Tokugawa qui n'auraient pu trouver philosophie plus conforme à leur politique).
Ces concepts confucéens s'infiltrent vite jusque dans l'intimité du couple et on exige de l'épouse une obéissance inconditionnelle et un esprit de sacrifice absolu vis-à-vis de son mari et maître.
Il est bien évident que dans un tel climat social les femmes n'ont pas le droit de quitter de leur plein gré la geôle conjugale.
Pour échapper à leur triste sort, certaines essaient de s'enfuir; si elles ont de la chance et réussissent à gagner le Tôkei-ji sans être rattrapées par leur conjoint, elles se réfugient dans ce havre interdit aux hommes.
Selon la loi, si une femme demeure trois ans au Tôkei-ji, au terme de cette période, le divorce est considéré comme effectif. Le Tôkei-ji, "Temple-refuge", jouit depuis sa fondation, par approbation impériale, de privilèges spéciaux. Tokugawa Ieyasu les a renforcés et garantis; il assure sa protection à ce monastère.
Sur le modèle du Tôkei-ji, Jônen-ni et Jô.on--ni, qui appartiennent à la famille des Tokugawa, fondent le Mantoku-ji, dans le département de Gunma. Le Mantoku-ji est moins connu. A cause de sa situation géographique défavorable, il est plus difficile à atteindre, si bien que ses effectifs seront toujours réduits : quatre moniales y résidaient en 1809, sept en 1861 et cinq en 1870. Le Mantoku-ji a été presque entièrement détruit en 1872 lors des mouvements anti-bouddhistes ; il n'en reste aujourd'hui que des ruines.
En dehors de ces deux monastères qui bénéficiaient d'une autonomie rare à cette époque et d'un statut spécial, sous la haute protection des Tokugawa, les autres étaient soumis à un contrôle strict. Le Bakufu écarta du pouvoir réel la Cour, les nobles et les religieux, incompétents en matière de production et de guerre (les nouvelles valeurs), bien qu'il leur laissât, en principe, la préséance. Mais comme le gouvernement désirait se servir de la religion à des fins politiques, il la protégea, d'où un renouveau du Bouddhisme.
Toutefois, des édits furent promulgués afin d'empêcher des religieux mécontents de troubler la paix du pays (par exemple, l'édit en 7 articles du Mont Hiei, en 1608).
En 1635, des bugyô (gouverneurs) sont nommés dans les temples pour surveiller les moines et les moniales.
En 1638 est institué le système du Dankaseido : toutes les familles japonaises doivent s'inscrire sur les registres du temple dont elles dépendront désormais et auquel elles verseront des redevances (source financière précieuse pour les religieux). Le Dankaseido est un excellent moyen de contrôle de la population ; il est étendu en 1662 par l'obligation annuelle de fournir aux autorités un certificat délivré par le temple dont on relève (Tera.ukeseido).
L'organisation des monastères en "maisons-mères" et "maisons secondaires", qui existait depuis la fin de l'époque de Kamakura, est développée (Hon-ji et Matsu-ji). Le schéma s'est ensuite compliqué avec des filiales de filiales, mais le principe est resté le même. En cas de conflit entre deux temples, le Bakufu intervenait et tranchait, avec sévérité.
A côté des Honji et des Matsuji, il y avait quand même quelques monastères indépendants, surveillés moins étroitement.
Les moniales n'avaient pas été oubliées et leur vie également était fixée par les arrêtés du gouvernement shogunal. Les monastères de nonnes dépendaient d'un monastère masculin et s'appelaient Matsuan ou Kôan. Certains, qui ne relevaient d'aucune école, avaient pu préserver une autonomie relative (Shian). Par la suite, quelques Matsuan eurent des filiales à leur tour, comme le Chû.on-ji.
Sous le nom de Bikunigosho, les temples où entraient des membres de la famille impériale ou de la noblesse se virent conférer un statut particulier; on distingua même ceux particulièrement réservés aux princesses impériales (Kyûmonzeki ou Gokyûshitsu) de ceux affectés aux nobles Gunmonzeki; Gozenshitsu). C'était la première fois au Japon qu'on séparait strictement les moniales d'un rang élevé de leurs soeurs issues du peuple. Il n'existait plus de possibilité d'échapper à son origine sociale et de trouver l'égalité au moins dans la religion.
Les Bikunigosho existeront jusqu'en 1885. Certains sont connus :
Gokyûshitsu :
- le Takenogosho, fondé par la soeur de Mugoku Shigen, Chisen-ni, qui descendait de l'empereur Juntoku. Chisen-ni fut la première supérieure du Tsûgen-ji et, dans sa vieillesse, se retira dans un ermitage situé dans l'enceinte-même du temple, le Takenogosho. Le Takenogosho devint plus tard le Donge-in. Depuis 1951, la supérieure y a ouvert une garderie fréquentée par plus de soixante enfants.
- le Kôshô-in ou Tokiwagosho, dû à la fille de l'empereur Gofushimi, Hongaku-ni.
- le Reikan-ji ou Tanigosho ou Shishigadanigosho fut construit sur l'ordre de l'empereur Gomizunoo (1596-1680). Il est réputa pour sa magnifique collection de poupées (plus de deux cents) apportées par les princesses qui entraient en religion.
- le Rinkyû-ji ou Otowagosho, fondé par la fille de Gomizunoo après la mort de son père, en 1680. - le Chûgû-ji ou Ikarugagosho situé à l'est du Hôryû-ji. Fondé en 607 par Shôtoku Taishi pour sa mère, il fut restauré par Shinnyo-ni, à l'ère Bun.ei (1264-1274).
Gozenshitsu :
- le Sanjichion-ji ou Iriegosho remonte à la princesse Kenshi (fille de l'empereur Gokôgon, 1338-1374) qui le fit construire pour y placer une statue de Zend (moine chinois du 7ème siècle qui enseignait la doctrine de la Terre Pure) qu'avait ramenée Junjô (1166-1227; moine japonais qui étudia en Chine de 1199 à 1211).
- le Hokke-ji (Himurugosho) était autrefois le palais de Fujiwara no Fuhito. Sous l'empereur Shômu, l'impératrice Kômyô le transforma en temple provincial, le principal pour les moniales, qui faisait pendant au Tôdai-ji. L'actuelle desservante, Koga Kôshô, se livre à de nombreuses oeuvres sociales. Elle a donné son soutien à un mouvement en faveur des léproseries du monde entier et a appris le braille pour communiquer avec les aveugles.
- le Zuiryû-ji (Murakumogosho) a été fondé en 1596 par la mère de Toyotomi Hidetsugu.
On ne peut évoquer l'histoire des moniales japonaises à l'époque d'Edo sans penser immédiatement aux "Etokibikuni" de triste réputation. C'étaient à l'origine des nonnes qui parcouraient le pays et rassemblaient des dons. Aux carrefours, elles déployaient des rouleaux où étaient représentés les paradis, ou les enfers, bouddhiques et elles expliquaient la doctrine aux badauds. Ensuite, elles faisaient la quête et poursuivaient leur chemin. Jusque-là, rien de blâmable. Au contraire, elles avaient renoué avec la tradition de l'Inde ancienne et étaient remontées à la source primitive. Mais bientôt, beaucoup d'entre elles profitèrent de la liberté d'une vie errante pour se livrer à des activités moins pieuses, peu aptes à édifier les masses. Tant et si bien que l'appelation "Etokibikuni" devint synonyme de "prostituée". L'apparition des Etokibikuni est une grande tache dans l'histoire des religieuses bouddhistes japonaises. Elles ont jeté le discrédit sur toutes les nonnes, alors qu'elles n'en représentaient qu'une infime minorité, la plupart se consacrant avec zèle à une pratique pure. C'est d'autant plus injuste que les Etokibikuni n'avaient en général pas le droit de se dire religieuses; elles n'avaient fait qu'emprunter l'habit sacré et s'étaient parfois rasé les cheveux pour parfaire l'illusion.
A la fin de la période d'Edo, la corruption des "religieux" devint de plus en plus apparente. Les règles n'existaient plus, semblait-il, que pour être transgressées. Les Japonais en arrivèrent à mépriser les moines et les moniales dans leur ensemble. Ils les considéraient, sans opérer de distinction, comme des créatures indignes et nuisibles. En butte aux sarcasmes et aux critiques de tous, les religieux étaient particulièrement pris à partie par les écrivains populaires, les prêtres shintoïstes et les savants nationalistes. Des temples furent détruits, des moines et nonnes ramenés à l'état laïc, et des statues refondues pour servir à la construction de ... canons ! C'étaient les prémices du mouvement anti-bouddhiste qui sévit dans les premières années de Meiji.
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