Les bouddhistes admettent la réincarnation mais, à ma connaissance, ce
sont les Tibétains qui ont poussé ce principe jusqu'à rechercher
systématiquement les nouvelles formes revêtues par certains grands
personnages du passé. Ils les appellent lama (bla ma) ou, pour être plus précis, tulkou (sprul sku).
Le
problème pour les non-initiés est que ces termes ont tous deux d'autres
emplois. d'où ambiguïté et, parfois, malentendus. Ce week-end, lors du
séminaire sur la mort à La Mutualité, il a été posé à Rinpoche une
question concernant les renaissances des lama et tulkou, ce qui m'a
donné envie de reprendre ici ce sujet.
Bla ma est la contraction de bla na med pa,
qui signifie littéralement "sans supérieur", ou encore "suprême. Autant
dire que, si ce titre est décerné par d'autres personnes, d'accord,
mais se l'accorder à soi-même, ou simplement l'utiliser pour soi-même
manquent quelque peu de modestie ! Supposons que nous rencontrions
quelqu'un qui se présente à nous comme étant Lama Untel, pour qui
comprend un peu la langue tibétaine, cela sonne bizarrement.
Toujours est-il qu'un lama est un maître spirituel. Notre propre maître est donc "notre lama", qu'il soit ou non reconnu en tant que lama par la société.
sPrul sku est l'équivalent tibétain du terme sanskrit nirmanakaya. Il désigne en premier lieu le ou les Corps d'émanation des Bouddha.
Ainsi, le Bouddha Shakyamouni était un Nirmanakaya, de ceux qui sont qualifiés de "Nirmanakaya suprêmes" (mchog gi sprul sku), bhikshu
qui présentent les 32 signes majeurs et les 80 marques secondaires
caractéristiques des Bouddhas. De telles apparitions dans un monde sont
très rares, une seule à la fois par cycle d'Enseignement. Nous nous
situons en effet toujours dans l'ère du Bouddha Shakyamouni. Le prochain
Nirmanakaya suprême annoncé sera Maitreya (pour l'heure, skye ba sprul sku
en la Terre pure de Tushita, alias Ganden), longtemps après le déclin
et même la disparition de l'Enseignement de son prédécesseur à la
surface de la terre.
En revanche, le troisième type de nirmanakaya (bzo bo sprul sku, "Corps d"émanation exécutants") est plus abondant et d'aspects infiniment variés : il est dit que les Bouddha et aryabodhisattva
peuvent prendre toutes formes utiles pour accomplir le bien d'êtres en
mesure de recevoir une aide de leur part. Cela va de l'aspect d'un
musicien à des formes animales, en passant par des objets tels que des
ponts !
Pour qu'on puisse s'y retrouver, il conviendrait d'élucider quelques questions élémentaires. Entre autres :
- Tous les lama sont-ils des tulkou ?
NON.
- Tous les Tulkou sont-ils des émanations de Bouddhas ?
OUI, si on prend "tulkou" au sens premier du terme. NON, si on entend par là "un lama réincarné".
- Alors, sont-ils au moins des émanations d'aryabodhisattva ?
NON, pas tous.
- Les lama sont-ils tous des "lama réincarnés" - de nouvelles formes prises par des maîtres antérieurs ?
NON.
Comme indiqué plus haut, notre propre maître est notre lama. Mais il
n'a pas forcément été intronisé comme étant la réincarnation de tel
maître du passé.
DE PLUS, certaines populations ont généralisé le terme de lama
jusqu'à dénommer ainsi tous les moines ! C'est ce qui se passe chez les
Indiens : ils appellent lama tous les moines tibétains. Dans certaines
régions du Tibet, cela se faisait déjà. Ou encore, dans l'école kagyu, le titre de lama est désormais décerné à ceux qui ont accompli des retraites de trois ans ou plus.
- Tous les "lama réincarnés" sont-ils des Bouddhas ou bodhisattva ?
Non,
ils peuvent aussi être l'incarnation d'un maître qui est encore un être
"ordinaire" au sens où il n'a pas obtenu la compréhension directe de la
vacuité (et n'est donc pas un arya) et/ou il n'a pas réalisé bodhicitta (l'esprit d'Eveil), tant et si bien qu'il n'est pas un bodhisattva.
MAIS si sa réincarnation est recherchée, c'est sans doute qu'il a déjà
fait preuve de grandes qualités, notamment de sagesse, d'amour et de
compassion.
- Lors de la recherche des lama réincarnés, des erreurs se produisent-elles parfois ?
OUI,
bien sûr. Il est admis en société tibétaine que ce n'est pas toujours
le bon candidat qui est retenu : outre les inévitables pressions
politiques ou financières, il arriverait qu'à la place du maître, on
sélectionne un de ses proches assistants, finalement mieux à même que
l'intéressé d'identifier les objets lui ayant appartenu !
- Le nouveau tulkou marche-t-il toujours sur les traces de ses prédécesseurs ?
NON,
et ce, même si aucune erreur n'a été commise dans son identification.
Les temps ayant changé, le tulkou d'aujourd'hui s'adapte à son
environnement et à ses contemporains. Il suffit de feuilleter les
biographies des Dalaï lama pour constater que les maîtres réincarnés ne
se contentent pas de reproduire un seul et même schéma à l'identique au
fil des siècles.
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