Comment caractériser "la saisie du soi", en tibétain bdag 'dzin, Cher S. L. ?
Le seul moyen de résoudre cette question pertinente est de vérifier systématiquement les possibilités et les impossibilités, en se posant un certain nombre de questions, inspirées par les différentes classifications de perceptions traditionnellement admises dans la philosophie bouddhique.
La saisie du soi est-elle ou non une perception ? Oui, selon le bouddhisme.
Ceci étant posé, je vous laisse réfléchir aux questions suivantes, car il n'y aurait pas le moindre intérêt à fournir les réponses.
Parmi les classifications binaires des perceptions,
La saisie du soi est-elle une perception avérée (tshad ma pramana) ou non avérée (tshad min gyi shes pa) ?
Est-elle une perception représentative (rtog pa) ou non représentative (rtog med kyi shes pa) ?
Est-elle une perception inexacte ('khrul shes) ou exacte (ma 'khrul pa'i shes pa) ?
Est-elle une perception sensorielle (dbang shes) ou mentale (yid shes) ?
Est-elle un mental principal (une conscience / sems) ou un facteur mental (sems byung) ?
Parmi les sept types de perceptions,
Peut-elle être une perception directe (mngon sum) ?
Peut-elle être une perception avérée discursive (rjes dpag) ?
Peut-elle être une perception précaire (yid dpyod) ?
Peut-elle être une perception machinale (snang la m nges pa'i blo) ?
Peut-elle être une perception avérée consécutive (dpyad shes) ?
Peut-elle être une perception fausse (log shes) ?
Peut-elle être une perception dubitative (the tshom) ?
Magnifique "QCM" d'introspection ! :)
RépondreSupprimerTout d'abord avant de répondre en ce qui me concerne, je remarque que si je percevais très clairement toutes les réponses, je serais sans doute à un niveau de perception avancé (et souhaitable !)...
La réponse à ces questions me semble donc dépendre de l'expérience et des connaissances de celui qui y répond.
1) Si l'objet de la perception est une chose, la perception en est une autre. On peut percevoir ou pas un objet avéré, tout comme percevoir ou pas un objet non avéré. Ici c'est la perception "saisie du soi". Elle est avérée, il y a bien une saisie.
2) C'est une perception représentative. Je me représente le soi comme ayant des contours, une certaine image, qui peut changer dans le temps, qui mais qui est bien présente dans l'esprit au moment de la saisie, avec des caractéristiques diverses.
3) C'est une perception que je perçois comme inexacte. Parce que le "soi" ne me semble pas correspondre à ce qu'il est, ou à ce qu'il devrait être, j'ai le sentiment qu'il est mouvant, impalpable. La perception du soi est partielle, changeante, inexacte.
A moins de le concevoir comme la somme des perceptions dans le temps depuis le commencement, en totalité et directement. Mais ça si je le conçois logiquement comme possible, et si expérimentalement il me semble l'avoir déjà perçu (intégrale infinie convergente en mathématique), je n'ai pas atteint de perception claire et stable de cette sorte.
4) C'est une perception que je perçois comme sensorielle ET mentale. J'ai le sentiment que le "soi" est dans le corps, ou en dehors, ou les deux, selon les moments, et qu'il interagit avec lui sous la forme des sensations qui en sont ses extrémités. Le perçois donc le "soi" sous la forme globale d'une conscience (donc via une perception mentale) et de sens (essentiellement une forme de "toucher" interne, dans le corps, parfois un "toucher externe" hors du corps)... En fait ça dépendra du niveau de concentration.
5) En tant que perception c'est un ensemble de facteurs mentaux, qui dépendra du moment et de la façon dont on observe l'objet, ici le "soi". C'est donc un ensemble de facteurs mentaux, qui change dans le temps.
6)Comme il s'agit d'une perception représentative, ce n'est pas une perception directe...
7) Oui je dirais qu'elle est avérée (elle est bien là) mais elle est discursive. C'est une perception qui allie mental, sensations, raisonnement et analyse.
8) Perception précaire sans aucun doute. Le "soi" est saisi, mais temporairement, la perception n'est pas stable, elle est semi-stable selon les niveaux de concentration.
9) Perception machinale : oui cela peut-être. Il me semble que toute perception conditionnée est machinale. Elle est d'autant moins machinale que l'analyse est poussée, la concentration forte, l'esprit stable.
10) Perception avérée consécutive. Oui au sens qu'elle n'est pas directe.
11) C'est une perception fausse. Très clairement, au sens où la représentation mentale ne correspond pas à l'objet (les deux changent constamment).
12)Perception dubitative. Oui très clairement ! Le doute accompagne cette perception en permanence. Parce que cette saisie implique une séparation entre "ce qui saisi" qui pourtant ne peut que faire partie du "soi", et "ce qui est saisi" qui est censé être le soi, il y a forcément un illogisme !
Si "ce qui saisi" fait partie du "soi" et qu'il perçoit le "soi" comme une représentation disjointe, cela veut dire que le "soi" est à la fois "interne" et "externe", ce n'est pas logique.
On ne peut que douter de cette perception, qui est forcément toujours fausse... La perception est dubitative.
Voici une tentative :
RépondreSupprimer(«Le Petit Robert » - « saisie » : n.f. – 1494 ; « possession »)
Définition de « la saisie du soi » ātmagrāha : « mode erroné de perception d'un moi indépendant, autogène, instinctivement appréhendé » ( fascicule Jhampa Gyamtsog page 80)
Préalable : nous évoquons la perception de « la saisie du soi », et non… la perception du moi !
Parmi les classifications binaires des perceptions, la saisie du soi : …
Est-elle une perception avérée (tshad ma pramana) ( perception qui saisit sans erreur) : réponse : non
- « Erroné » = erreur : hors la perception avérée saisit sans erreur
La saisie du soi est-elle une perception non avérée (tshad min gyi shes pa) ?
- Dans la mesure où la perception saisit avec erreur, la réponse serait : oui
Est-elle une perception représentative (rtog pa) ? (perception qui saisit son objet par une image mentale)
- Le soi erroné concerné serait-il perçu par une image mentale (…fausse), réponse : il me semble bien que oui !?
Est-elle une perception non représentative (rtog med kyi shes pa) ? (perception qui saisit son objet sans image mentale)
- Ce serait une perception non représentative inexacte, mais j’ai un doute, en effet, une perception peut-elle être (à la fois) représentative (image mentale fausse) et non représentative inexacte ?
Est-elle une perception inexacte ('khrul shes) ?
- Là c’est plus facile (ouf !), c’est oui !
Est-elle une perception exacte (ma 'khrul pa'i shes pa) ?
- Là c’est plus facile aussi, c’est non !
Est-elle une perception sensorielle (dbang shes) ?
- non
Est-elle une perception mentale (yid shes) ?
- oui
Est-elle un mental principal (une conscience / sems) ?
- hum, ça se complique…je dirai : oui, puisque ce n’est pas un facteur mental, la saisie du soi colorait ainsi… nos perceptions de son mode erroné saisi …(?)
Est-elle un mental un facteur mental (sems byung) ?
- Heu…c’est pas évident ! je dirai : non, …mais… les perceptions qui ne relèvent pas des facteurs mentaux, relèvent elles du mental principal ???
Parmi les sept types de perceptions,
Peut-elle être une perception directe (mngon sum) ? (perception exacte et non représentative)
- La perception de la saisie du soi n’est pas exacte : réponse : non
Peut-elle être une perception avérée discursive (rjes dpag) ?
- Non puisque la saisie est erronée…
Peut-elle être une perception précaire (yid dpyod) ?
- Non puisque la saisie est erronée…
Peut-elle être une perception machinale (snang la m nges pa'i blo) ?
- Non, puisque une perception machinale ne peut pas être mentale (par définition)
Peut-elle être une perception avérée consécutive (dpyad shes) ?
- Non
Peut-elle être une perception fausse (log shes) ?
- Oui
Peut-elle être une perception dubitative (the tshom) ? (Robert : qui exprime le doute le septicisme)
- Sans doute !
La saisie du soi est-elle une des notions évoquées par le mode "auto perception" ?
- Merci de votre réponse Marie !
Puissent tous les êtres éviter toutes les perceptions erronées (dont celle du soi)!
La saisie du soi est-elle une des notions évoquées par le mode "auto perception" ?
RépondreSupprimerNon, Cher Patrick. Et merci pour le gros travail fourni pour apporter vos réponses à mes questions.
Cher Stéphane, par pure convention (mais sinon, comment communiquer ?), dans notre métalangage, une "perception avérée" (ou encore "valide") est une "perception qui saisit sans erreur son objet".
RépondreSupprimer@msb
RépondreSupprimerD'accord, ce n'est donc pas la perception qui doit être avérée, mais l'objet de la perception.
Dans ce cas effectivement la "saisie du soi" n'est pas une perception avérée.
C'est très intéressant cet enseignement via le web, ça permet de travailler sur des cas précis en interaction différée, on a donc plus de temps pour réfléchir et méditer avant de répondre, c'est très enrichissant !
J'aimerais soulever un point (qui est différent du domaine des perceptions).
RépondreSupprimerL'argument de la possibilité de réaliser l'état de Bouddha tient dans le fait que la "nature de Bouddha" est présente dans chaque être, qu'elle n'a pas d'origine, et qu'elle est la cause de la Bouddhéïté.
Pourtant si on reprend les arguments concernant l'ignorance on retrouve les mêmes caractéristiques : elle est présente dans chaque être, n'a pas d'origine, et est la cause de la souffrance...
Si on réfléchit alors selon le point de vue "même cause mêmes effets" alors la sagesse et l'ignorance semblent être de même nature (présente, sans origine).
Comment donc le développement de la sagesse pourrait totalement éradiquer l'ignorance et donc ses effets (la souffrance), alors que le développement la souffrance ne peut pas éradiquer totalement la sagesse innée la "graine de Boudha" ?
Pourquoi l'une et pas l'autre ? Comment résoudre ce problème ? J'avoue que logiquement je me heurte à ce constat depuis un bon moment. C'est pour un moi un problème insoluble parce que parfaitement symétrique...
Stéphane, il me semble que c'est parce que la bouddhéité repose sur la vérité alors que la saisie du soi n'a pas de fondement, c'est une fausse croyance. Quelque chose de véridique peut donc balayer, quand l'esprit le réalise, ce qui est faux. Une fois que l'on a réalisé qu'une croyance que l'on avait ne repose sur rien, qu'elle est donc fausse, on n'y retourne plus et c'est comme ça que l'esprit avance.
RépondreSupprimerCher Stéphane, bonsoir…
RépondreSupprimervoici un point de vue, en espérant ne pas dire trop de bêtises !
je ne sais pas si… « la nature de bouddha serait la cause de la bouddhéité », car dans ce cas… ne serions nous pas tous déjà bouddha ?
Peut-on comparer « la nature de bouddha » à « quelque caractéristique que ce soit » ? j’en doute !
Lorsque l’on parle de « la nature de bouddha », on parle de l’esprit du bouddha, et plus précisément de corps pur par nature (nature de vacuité de l’esprit du bouddha) son omniscience dénué de tout voile …et du corps de la sagesse supérieure, les qualités du bouddha, la connaissance, la compassion, la compréhension du non soi …
Pour ce qui nous concerne…Bien qu’elle soit voilée (par les FP…), nous possédons la nature de bouddha (pureté de l’esprit), mais pour que cet éveil devienne une expérience vivante et ne reste pas seulement un potentiel en sommeil, nous devons surmonter certaines habitudes tenaces dont la principale est de nous identifier, consciemment ou non à un être limité, (par notre égo, etc…).
Pour la métaphore :
L’esprit du bouddha c’est un ciel bleu sans nuage,
Notre esprit…c’est un ciel bleu aussi, mais ...au dessus des nuages !!
Si nous n’effectuons pas un travail sur notre esprit, je doute que la nature de pureté de notre esprit se développe toute seule !
…Par ailleurs, il me semble bien que deux phénomènes peuvent avoir des caractéristiques similaires sans être de même nature…
…Nonobstant, je crois bien que le remède à l’ignorance est la compréhension de la loi de causalité
Dans ce cas, votre question serait : « Comment donc le développement de la compréhension de la loi de causalité pourrait totalement éradiquer l'ignorance » et que l’inverse ne serait pas vrai ?
1) Un individu ordinaire :
Il se fiche pas mal de l’ignorance et de la loi de causalité, dans ce cas l’ignorance règne et empêche le développement de la compréhension de la loi de causalité
2) L’esprit d’un individu de motivation inférieure :
la compréhension de la loi de causalité diminue l’ignorance
A l’inverse l’ignorance peut encore empêcher le développement de la compréhension de la loi de causalité
3) Pour un être supérieur :
Graduellement il acquiert la compréhension de la loi de causalité qui coupe l’ignorance
Dés lors, comment l’ignorance pourrait reprendre le dessus ?
En résumer, (et sous toutes réserves)
je pense que l’ignorance peut réduire à néant la compréhension de la loi de causalité
et que la compréhension de la loi de causalité peut réduire l’ignorance
Par ailleurs je partage entièrement l’avis de Sylvie
Bonne soirée et merci pour cette "révision"
Parmi les classifications binaires des perceptions,
RépondreSupprimerLa saisie du soi est-elle une perception avérée ou non avérée ?
- non avérée, car elle ne saisit pas son objet sans erreur et inexactitude.
Est-elle une perception représentative ou non représentative ?
- spontanément, je dirais non représentative, sans image mentale, lorsque l'on voit un animal sauvage foncer sur nous, par exemple, on est saisit d'une forte peur, jusqu'à être tétanisé, ce qui est la manifestation (du moins je crois) de la saisit du soi. Et dans ce cas la perception est sensorielle, visuelle, sans aucune nécessiter de faire appel à une image mentale.
Mais en même temps, au cours d'une réflexion on se souvient, à l'aide d'une image mentale, du conflit que l'on a pu avoir avec une personne et moult kleishas font leur apparition comme l'irritation, l'orgueil etc...c'est à nouveau (je pense) la manifestation de la saisie du soi...donc je dirait selon le contexte elle peut être une perception représentative ou non représentative.
Est-elle une perception inexacte ou exacte ?
je dirais inexacte. En effet, elle perçoit de façon inexacte l'objet apparaissant que sont les agrégats de l'individu, qu'elle appréhende comme un, permanent et indépendant.
Est-elle une perception sensorielle ou mentale ?
-je dirais mentale.
Est-elle un mental principal ou un facteur mental ?
-elle se situe parmi un des 6 facteurs perturbateurs de base, c'est en effet une des 5 vues erronées, "la saisie du soi personnel".
Parmi les sept types de perceptions,
Peut-elle être une perception directe (mngon sum) ?
-J'aurais tendance à dire que non, car une perception directe est exacte...
Peut-elle être une perception avérée discursive ?
-Non, car une perception avérée discursive suite à un raisonnement valide, saisit son objet de manière juste, ce qui n'est pas le cas dans la saisie du soi...
Peut-elle être une perception précaire ?
-Non, car bien qu'une perception précaire ne repose ni sur l'expérience ni sur un raisonnement valide et qu'elle soit dépourvue de certitudes qui excluraient immédiatement toute erreur, elle saisit son objet d'une façon juste et catégorique (objet qui est d'ailleurs véridique).
Peut-elle être une perception machinale ?
-je dirais oui. L'objet d'une perception machinale étant un phénomène composé, en l'occurrence les agrégats de l'individu, elle n'a pas de certitude à propos de ce même objet.
Peut-elle être une perception avérée consécutive ?
-Non, car une perception avérée consécutive prolonge une perception initiale avérée, qui est elle même le premier instant d'une perception qui saisit sans aucune erreur ni exactitude son objet!
Peut-elle être une perception fausse ?
-Elle est une perception complètement fausse! Car elle saisit son objet, les agrégats de l'individu, de façon totalement erronée...
Peut-elle être une perception dubitative ?
-je ne connais ce terme...:-(
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