Ce mercredi 18 juillet 2007 vient de s'ouvrir à Hambourg un congrès. L'objectif déclaré est d'introduire l'ordination monastique majeure pour les femmes, c'est à dire l'ordination de bhikshuni, dans la lignée tibétaine du bouddhisme - j'évite au maximum les terminologies bien pratiques de "bouddhisme tibétain", "b. chinois", "b. japonais", "b. coréen", "b. vietnamien, etc : à mes yeux, le bouddhisme n'est autre que l'Enseignement du Bouddha au sens de "somme unitaire, cohérente et convergente des innombrables enseignements ô combien divers et variés dispensés par le Boudddha 45 années durant.
"Puisse découler de ce congrès les effets les plus bénéfique pour les êtres et pour le maintien de l'Enseignement ! Ô Bouddhas et bodhisattvas des dix directions, veuillez accorder votre bénédiction afin qu'il aille ainsi !" Tels sont aujourd'hui mes vœux les plus chers.
Pou être franche, je suis inquiète, très inquiète.
Je suis convaincue que les personnes qui ont organisé le Congrès débordent de bonne volonté et sont d'une complète sincérité. J'admire leur énergie et leur efficacité. Je suis pleine de reconnaissance pour ce qu'elles ont accompli ici et là en faveur des nonnes bouddhistes : création de "nonneries" (mon dictionnaire ne connaît pas ce mot ; tant pis pour lui) ; établissement de cursus d'études ; subventions ; etc. ; etc. Elles se sont dépensées sans compter, et ce, depuis des années.
Je n'en suis pas moins inquiète. Car j'ai l'impression – mais ce n'est qu'une opinion personnelle – que certains faits qui sont présentés comme des problèmes à résoudre ne sont en fait pas des problèmes, tandis que les "solutions" envisagées, elles, risquent d'en susciter, des problèmes, et de taille.
Pour résumer la situation (en fonction de ce que je sais, c'est-à-dire très peu) :
* Dans le bouddhisme, si j'ai bien compris, c'est l'observance et la mise en oeuvre de l'éthique, et plus exactement du Code monastique (vinaya), qui fonde le maintien de l'Enseignement d'un Bouddha dans un monde.
Le vinaya est l'ensemble des règles peu à peu édictées par le Bouddha au fur et à mesure que des questions concrètes se sont soulevées concernant les conduites des religieux.
* Pour progresser sur le chemin spirituel, la prise de vœux de pratimoksha est souhaitable car très favorable, le statut de bhikshu (ou de bhikshuni) constituant le meilleur support. Mais ce n'est en rien obligatoire. Par exemple, les cinq premiers disciples du Bouddha se sont transmués en bhikshus du fait d'avoir obtenu de hautes réalisation, et pas le contraire. Comme le soulignait (et l'illustrait) Marpa Lotsawa, du moment que la méditation soit correcte, les réalisations sont obtenues même par un laïc ; en revanche, même retiré au fin fond des montagnes, l'ermite qui ne maîtrise pas son esprit ne progresse pas plus qu'une marmotte.
* Au sein des infinies qualités du Bouddha, il y a ce pouvoir qui consiste à répondre simultanément, au travers d'une seule émission de voix, aux multiples questions de multiples êtres. Autrement dit, chacun entend et comprend ce qui lui correspond.
N.B. Le bouddhisme ne prétend pas détenir et révéler la Vérité une et absolue (et d'ailleurs récuse une telle notion). Il se présente comme une méthode qui non seulement admet la pluralité des moyens et interprétations mais la considère comme naturelle et nécessaire.
* Plusieurs systèmes de vinaya se sont donc constitués. Les sources évoquent 4 branches principales, subdivisées en 18 sous-écoles. De nos jours, il n'en subsiste que 3 : Theravada (Thaïlande, Birmanie, etc.) ; Dharmagupta (Chine, Corée, etc.) ; Mulasarvastivada (Tibet, Mongolie, etc.). Les différences portent d'une part sur les rituels, d'autre part sur les vues philosophiques professées (notamment la notion de "soi").
* Certains textes rapportent que la branche Dharmagupta est un courant dissident du système Mulasarvastivada, qui s'est autrefois séparé de la maison-mère pour cause d'incompatibilité de vues (à propos du soi existant ou non). La célébration des rituels diffère également.
* Au XIème siècle, quand Atisha a été invité à grand peine au Tibet pour restaurer un bouddhisme pur et authentique et mettre un terme aux dérives et perversions survenues à la suite des persécutions anti-bouddhistes du siècle précédent, il a clairement mis en garde contre les mélanges intempestifs de vinaya différents. Un tel comportement interdirait d'obtenir les réalisations recherchées, et plus précisément l'état d'arhat (N.B. un arhat est quelqu'un qui a obtenu la libération définitive du samsara, c.a.d. de la souffrance, en se débarrassant de tous les facteurs perturbateurs de l'esprit – l'ignorance, l'attachement, l'aversion et leurs dérivés) !
* Atisha a donné l'exemple en s'abstenant de conférer l'ordination monastique à qui que ce soit au Tibet. En effet, lui-même appartenait à l'école Mahasamghika (qui a totalement disparu) tandis que le système introduit au Tibet au VIIIème siècle était le Mahasarvastivada, beaucoup plus contraignant.
* Concernant les femmes, toutes les écoles de vinaya comportaient, apparemment, les trois ordinations successives instituées par le Bouddha, mais pour des raisons diverses, souvent liées à des troubles politiques, dans la plupart des pays bouddhistes, certaines lignées de transmission ont été interrompues ou n'ont jamais été introduites.
* Dans le cas du Tibet, l'ordination mineure des femmes (shramanerika) a été introduite quasiment en même temps que celle des hommes. Très prudents, les Tibétains ont attendu une centaine d'années pour ordonner leurs sept premiers moines. Comme l'essai a paru être concluant, bientôt une nouvelle cérémonie a été organisée pour ordonner cent religieux, dont deux princesses royales. Mais faute du chapitre féminin exigé par la règle, l'ordination de bhikshuni n'a pas pu être conférée. Pour que cela puisse se faire, il aurait fallu soit que des nonnes suffisamment anciennes viennent de l'Inde ou du Népal, soit que des Tibétaines se rendent dans ces pays puis reviennent au pays saines et sauves (rappelez-vous qu'il y a eu énormément de pertes chez les hommes dans la quête du bouddhisme).
* En revanche, en Chine, en Corée ou encore au Vietnam, les trois niveaux d'ordination ont été préservés. Dans le système Dharmagupta.
Mes conclusions (forcément personnelles et pas nécessairement justes) :
Il est avéré qu'il est possible aux laïcs comme aux religieux d'ordination mineure de retirer tous les fruits de la pratique bouddhiste.
De toute façon, si de nos jours des femmes aspirent à l'ordination majeure, c'est POSSIBLE. C'est même facile. Grâce au système Dharmagupta.
A quoi bon compliquer en effectuant des mélanges ? Terriblement risqués, si on en croit Atisha. Lequel est quand même une référence qui fait (ou devrait faire) autorité, au moins dans la mouvance tibétaine qui lui doit tant, qui lui doit tout.
A la grâce des Bouddhas…, proposeront certains.
Certes, on peut leur faire confiance pour aider à réaliser le possible. Pas l'impossible. C'est que les Bouddhas ont l'omniscience, mais pas une omnipotence absolue. Ainsi, est-il dit, les Bouddhas n'ont pas pouvoir sur quatre types de phénomènes : les éléments physiques ; les mantras ; les vœux ; les karmas des êtres. Un résultat ne peut se produire que si les causes et conditions afférentes sont réunies. Et il ne peut que se produire dès lors qu'elles le sont. C'est une loi naturelle infaillible. La loi de causalité exclut les miracles (pas les événements stupéfiants).
Quand les mérites des êtres ne sont pas suffisants, l'Enseignement ne peut que péricliter. C'est mécanique et inévitable.
Prenons l'exemple de l'histoire du Tibet ancien. Les trois grands Rois bouddhistes, Songtsän Gampo, Thrisong Détsän et Rälpacän, sont considérés comme les émanations respectives des Boudhas Avalokiteshvara, Manjushri et Vajarapani – la compassion, la sagesse et les pouvoirs. Pourtant, Rälpacän a été assassiné, après quoi les bouddhistes ont été persécutés plusieurs décennies durant.
Je souhaite ardemment que les mérites des êtres d'aujourd'hui soient puissants et stables ! L'avenir nous le dira.
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