Pour s'engager dans la pratique du bouddhisme, il est une qualité fondamentale et incontournable qui est appelée niryâna en sanskrit, nges 'byung en tibétain, shurri en japonais.
Et en français ? Le plus souvent, c'est le terme de "renoncement" qui est utilisé. Or, à mon avis tout au moins, il n'est vraiment pas approprié. D'où problème. Un grand problème.
Comment voulez-vous qu'on arrive à mener des réflexions et méditations en vue d'établir en soi un état d'esprit qu'on n'est même pas capable de nommer à peu près correctement ? Comment le concevoir ? En principe, les résultats présentent des traits de similitude avec leurs causes. Les mots que l'on emploie ne sont ni neutres ni anodins ; ils sont porteurs de sens - c'est leur fonction même – mais ils sont en outre riches de connotations d'une grande force évocatrice. Deux soi-disant synonymes n'auront pas le même impact sur notre imaginaire.
Quid du terme "renoncement" ? Mon dictionnaire (le Petit Robert) en donne les définitions suivantes : "1. Le fait de renoncer (à un agrément) par un effort de volonté, et généralement au profit d'une valeur jugée plus haute. … Voir abstinence, détachement… 2. Le fait de se détacher de biens ou d'attachements auxquels on tenait jusqu'alors ; attitude de celui qui abandonne ces biens, ces attachements. Voir abnégation, dépouillement, détachement, sacrifice. Ex. : vivre dans le renoncement et les sacrifices." Vous trouvez ça tentant, vous ?
Maintenant, essayons de décrire nges 'byung, à prononcer "nguétchoung". Cela porte effectivement sur des biens, plaisirs ou autres privilèges auxquels on était attaché : jusque-là, le mot "renoncement" semble convenir, c'est vrai. Mais nges 'byung apparaît lorsqu'à l'issue de réflexions et méditations portant sur leur nature et leurs effets, on prend conscience de leur vanité foncière et de leur dangerosité extrême. Dès lors, non seulement on n'en a plus la moindre envie, mais on s'en méfie, on les redoute comme la peste. On n'a plus que dégoût, écoeurement et même horreur à leur égard. Ce n'est plus par "un effort de volonté" que l'on s'en prive ; on les rejette instinctivement. "Là où les êtres ordinaires voient délices et agréments, les bodhisattvas voient d'horrifiques brasiers.", disent les textes. Là où les bodhisattvas font preuve d'abnégation et d'esprit de sacrifice, c'est quand, pour accomplir le bien des êtres, ils acceptent de se replonger dans les miasmes du monde profane et d'assumer richesses et pouvoirs temporels – sans aucun attachement, loin de là.
Tout bouddhiste se trouve-t-il dans un tel esprit d'esprit ?
Bien sûr que non. Premièrement, ce n'est pas parce que l'on se dit bouddhiste que l'on est un bon pratiquant. Et encore moins un Bouddha. Deuxièmement, ce n'est pas parce que l'on est un pratiquant sérieux et sincère que l'on a pour autant déjà obtenu force réalisations – on y travaille. Troisièmement, tous les pratiquants du bouddhisme ne recherchent pas un seul et même objectif. Ou plutôt si, en ce sens que tous aspirent au bonheur, mais ils peuvent s'en faire de conceptions sensiblement différentes, trois principalement (bonheur de bonnes renaissances ; bonheur de la libération ; bonheur de l'Eveil de Bouddha).
En fait, la pratique du bouddhisme se fonde sur une première facette de nges 'byung éprouvée non pas encore envers tous les biens et bonheurs du samsara en général, mais pour le moment seulement à l'égard des plaisirs et privilèges de la vie présente. Ce n'est pas si facile…
Cela signifie par ailleurs que, tant qu'on demeure attaché aux biens de ce monde, réputation y compris, quoi que l'on fasse, ce ne sont encore que des activités mondaines, qui ne relèvent pas de la pratique spirituelle, en tout cas pas de la pratique bouddhiste, ce, même si on passe énormément de temps à méditer, à réciter des mantras ou à célébrer des cérémonies aussi longues que compliquées ! En revanche, dès lors que l'on ressent nges 'byung, les tâches les plus quotidiennes comme le ménage ou la cuisine relèvent de la pratique, à la seule condition d'être effectuées dans l'état d'esprit idoine.
L'évolution ne peut en effet qu'être progressive ; on ne se métamorphose pas du jour au lendemain. Avide de tous les hochets mondains aujourd'hui, on ne peut pas définitivement les rejeter avec dégoût dès le lendemain. L'important est de se mettre en chemin et de progresser.
A force de persévérer arrive le moment où ce qui était une pensée fragile et précaire devient forte et stable ; quand elle devient "spontanée", la réalisation est atteinte.
Je joins mes remerciements les plus sincères à ceux de mes petits camarades qui se sont déjà manifestés : merci à toi Marie-Stella, de nous faire partager tout cela. Enseignement proprement dit, culture bouddhiste ou culture tibétaine, ne te gêne surtout pas, c'est tout bon !
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