Au cours de leur séjour plus ou moins long en Inde au Népal, les Lotsawa effectuaient déjà parfois des traductions avec leur(s) maître(s). Puis ils rentraient au pays, rarement seuls. Dans la mesure du possible, ils invitaient des Pandits - souvent leur maître ou des condisciples – à les accompagner ou à les rejoindre.
Ils s'attelaient dès lors à leur tâche principale : la traduction des ouvrages sacrés. Certes, ils jouaient aussi les interprètes pour les Pandits, mais si c'était fondamental à l'époque, c'est devenu secondaire pour nous. Encore que ! Comme le bouddhisme repose sur l'oralité et la transmission ininterrompue, nous leur restons redevables aujourd'hui encore.
Comment les Lotsawa travaillaient-ils ?
Dès le départ, les grands principes sont établis, et ne varieront guère sur le sol tibétain.
Sous le roi Songtsän Gampo, Thönmi Sambhota prend déjà soin de s'assurer du concours d'assistants aux compétences diverses et complémentaires, et bientôt, chaque équipe comportera des locuteurs des différentes langues utilisées : dans les premiers temps, on traduit aussi bien du chinois, du népali ou de la langue de Gilgit que du sanskrit. Les collaborateurs de Thönmi sont révélateurs sur ce point : - deux Indiens (Kusara et Shamkara, un brahmane), un Népalais (Shilamanju), un Chinois (Hvaçan Mahâdeva Tshe), un Cachemirien (Tana) et quand même deux Tibétains (Dharmakosha et Lhalung Dorje Päl – le futur régicide).
Au début du VIIIème siècle le roi Méagtsom invite encore des moines chinois, et sous son règne Bränka Mûlakosha traduit du chinois non seulement des soutras mais aussi des traités d'astrologie et de médecine. Son successeur, le célèbre grand roi Thrisong Détsän, penche nettement pour que les traductions soient exclusivement effectuées à partir du sanskrit. La tendance se renforce suite au débat entre les tenants des écoles chinoises et indiennes et à la victoire des Pandits. Cela devient la loi lorsque les rois Sänalég puis Rälpachän (?-817-838) prennent les choses en main et codifient strictement le travail de traduction.
Le roi installe en son palais les pandits et traducteurs et il leur confie des missions clairement définies. Il édicte les règles à suivre en traduction, et il crée comme un tribunal, disons une instance supérieure, qui a la haute autorité sur l'ensemble du travail de traduction : bcom ldan 'das kyi ring lugs kyi bdun ma.
Les traducteurs aidés par les pandits compilent deux dictionnaires, encore très utiles de nos jours : Bye brag rtogs byed et sGra sbyor bam gnyis. Sur ordre de Rälpachän, ils établissent une nouvelle liste des textes tant du hinayâna que du mahâyâna traduits du sanskrit : c'est déjà le quatrième karchag (dkar chag) depuis Thri song Détsän ; il devra désormais être mis à jour régulièrement.
En sus des traductions inédites, il faut réviser les anciennes, plus exactement toutes celles qui avaient été effectuées à partir du sanskrit car les autres sont définitivement écartées. En partant de la langue du Magadha, l'enjeu consiste à concevoir de nouvelles terminologies car les traductions antérieures contiennent beaucoup trop d'expressions laissées en sanskrit, faute d'avoir alors trouvé des équivalents : rien que de plus naturel ; comme on dit, "il faut laisser du temps au temps". Transposer les notions et nuances très subtiles de l'Enseignement du Bouddha exige sans doute une période d'étude puis d'assimilation, sous peine de multiplier les erreurs (Ah ! Si nous pouvions être plus circonspects aujourd'hui ! Mais non, dans notre monde à grande vitesse, on traduit d'abord ; on voit après si on a le temps d'essayer de comprendre).
Par souci de clarté et d'authenticité, il est rendu obligatoire d'indiquer scrupuleusement le titre en les deux langues, sanskrit et tibétain, ainsi que les noms de l'auteur et des traducteurs, le cas échéant des réviseurs.
Pour simplifier la tâche aux utilisateurs, de sorte à ce qu'ils sachent immédiatement le domaine abordé, les traducteurs doivent ajouter après le titre une louange introductrice particularisée : pour les ouvrages du Vinaya (la règle monastique), l'hommage est rendu à tous les Omniscients ; pour le Soutrapitaka, à tous les Bouddhas et bodhisattvas, et pour l'Abhidharma, au Bouddha Manjushri , qui symbolise la sagesse.
Les procédés de traduction sont fixés par décret royal :
- La règle d'or est de privilégier la clarté et la compréhensibilité et de rester le plus fidèle possible à la lettre, tout en respectant la syntaxe et la morphologie du tibétain. En pratique, cela signifie que, s'il est préférable de recourir aux termes relevés de la langue, il ne faut pourtant pas hésiter à utiliser les expressions courantes et populaire, notamment pour les nombres. Par exemple, au lieu de dire comme en sanskrit 12 fois et demie 100 moines, il est recommandé de s'en tenir au parler ordinaire : 1250 moines…
- Lorsque la traduction littérale s'avère juste, qu'on la retienne. Sinon, il importe de privilégier le fond par rapport à la lettre – ceci marque un progrès notable sur l'époque précédente.
- Lorsque l'on peut conserver l'ordre sanskrit dans un ver ou une stance sans que cela entraîne de confusion ou de malentendu, c'est parfait. Mais s'il y a le moindre doute, la moindre ambiguïté, il faut adopter l'ordre le plus intelligible.
- Lorsqu'un mot sanskrit comporte de nombreuses connotations et recouvre plusieurs significations, il faut se garder de n'en rendre qu'un aspect et de favoriser sans raison un sens au détriment des autres (c'est un problème récurrent pour qui a charge de faire des traductions du tibétain en français, ou en anglais, etc..) : selon les cas, il faut * soit traduire la signification la plus générale ; * soit rendre le sens utilisé dans le contexte, à condition qu'il y ait des raisons valables pour ce faire ; * soit conserver le mot sanskrit.
- En ce qui concerne les noms de personnes, de pays, de fleurs, etc., les traduire textuellement risqueraient de susciter nombre de confusion. Aussi, il est conseillé de garder le terme d'origine, en le faisant précéder d'une indication en tibétain – "pays", "fleur" ou autre.
- Pour ce qui est des homonymes ou homographes, quand il n'y a pas d'erreur possible, on peut employer le mot tibétain habituel. Sinon, il est préférable de varier le vocabulaire.
Rälpacän décréta que personne n'avait le droit d'inventer seul un nouvel équivalent. Ceux qui rencontreraient une expression encore jamais traduite devraient enréférer aux instances supérieures, qui statueraient, décideraient et feraient les ajouts nécessaires dans les lexiques.
A propos des tantras, sous Thrisong Détsän, les trois premiers groupes avaient été traduits ; en revanche, bien que l'anuttarayogatantra fût enseigné et pratiqué, il était interdit de le traduire, afin d'éviter sa divulgation. Rälpacän va plus loin en promulguant une loi qui bannit la diffusion des tantras féminins et impose de sévères restrictions pour les autres. Ne peut désormais traduire de tantras que celui qui en a reçu l'ordre formel des autorités, sachant que toute traduction partielle est totalement prohibée.
Pour conclure, l'œuvre accomplie par les Lotsawa tibétains est immense et a une portée difficilement concevable. C'est en grande partie grâce à eux qu'aujourd'hui l'Enseignement du Bouddha nous demeure accessible dans son extraordinaire richesse. Certes, les autres pays où s'est diffusé le Dharma possèdent leur propre Canon, mais il semble que c'est le Pays des neiges qui offre les Collections les plus complètes et de plus très fiables, pour les raisons évoquées.
Puissent les Lotsawa modernes suivre les traces des grands Aînés ! Au moins un peu…
Moi qui, sans l'avoir jamais souhaité et sans en avoir ni la formation ni la compétence, me suis retrouvée à devoir essayer de traduire, je voudrais ici même non pas relater une quelconque expérience (inexistante) mais pousser quelques cris d'alarme. Simplement attirer l'attention sur celles de mes nombreuses erreurs que j'ai réussies à plus ou moins repérer. Juste pour qu'elles ne soient pas répétées encore et encore.
j´aime votre post.
RépondreSupprimervous connaices ce site: http://www.lotsawahouse.org/tibetan-masters/nyingma-masters/trulshik-rinpoche/prayer-for-translators
dharma
c.