L'influence du bouddhisme sur la société tibétaine est bien connue – nous n'y reviendrons pas. Vous ne serez donc pas surpris d'apprendre que les adages et sentences y faisant référence sont légion. En voici quelques-uns, choisis au hasard (ou presque).
* "Si tu veux un prince, fais de ton fils un moine. Si tu veux une servante, fais de ta fille une nonne." / dpon dgos na bu grva pa bzos / g.yog dgos na bu mo a ni bzos /
Commentaire : Sans commentaire, je préfère. De toute façon, je ne suis pas Tibétaine (dans cette vie-ci).
* "Du moment que le Tibet soit heureux, même si c'est une nonne qui est roi, pourquoi pas ?"
/ Bod la bde skyid byung na / rgyal po a ni byas na'an 'grig gi red /
Com. : Plusieurs interprétations semblent possibles. Pour prendre la plus optimiste, admettons que c'est signe d'ouverture…
* "Si on a soi-même les qualités, le trône de Ganden n' a pas de propriétaire exclusif."
/ rang la yon tan yod na / dGa' ldan khri la bdag po med /
Com. : Le détenteur du "trône" abbatial du monastère de Ganden n'est autre que le Ganden Tripa. Ce dernier est le successeur de Jé Tsongkhapa qui, au XVème siècle, fonda l'école des Gandènpa, ou encore des gélugpa, qui tire son nom de la maison mère.
L'Abbé de Ganden est ainsi le chef suprême des gélugpa. Dans les premiers temps, il était choisi de manière consensuelle parmi les Maîtres les plus réputés de l'ordre, tous collèges confondus. Puis l'usage s'est instauré que la charge soit assumée en alternance par les plus anciens des abbés retirés des deux grands collèges tantriques : Gyudmed et Gyutö, par définition des geshe d'une grande érudition car ils ont une lourde tâche à assumer dans les domaines de l'enseignement mais aussi de la transmission des lignées. L'avancement se fait donc nécessairement au mérite. D'où le dicton ci-dessus : ce n'est pas affaire de naissance ou de richesse, mais de compétence et de valeur personnelle.
Même les communistes chinois l'ont admis : en 1959, le 96ème Ganden Tripa, Jédrung Thubtén Kunga, a certes été arrêté un jour à l'aube et emmené au poste sans avoir le temps de s'habiller complètement, mais il a été très vite relâché du fait de son parcours, au mérite, et jusqu'à sa mort en 1964, il n'a plus jamais été inquiété par les occupants.
L'actuel Ganden Tripa est … Français, par naturalisation, comme vous l'aviez deviné.
* "Des choses à dire (pour se justifier), le parricide aussi en a."
/ Lab rgyu / pha bsad pa'i bu la yod /
Com. : Ce dicton, très courant en milieu tibétain, est, rapporte-t-on, une exclamation qui un jour échappa au Cinquième Dalaï Lama. Ce jour là, le Grand Cinquième lisait un ouvrage dû à un érudit sakyapa quand il est tombé sur un passage où l'auteur disait qu'après tout, si quelqu'un d'aussi versé en vinaya (le code monastique) que Serdog Panchen avait agi de la sorte, c'est qu'il devait avoir de bonnes raisons pour cela. Indigné, le Dalaï Lama se serait écrié : "Il le soutient parce qu'ils sont tous deux sakyapa. Mais des choses à dire (pour se disculper), le parricide aussi en a !"
Qu'avait fait Serdog Panchen Shakya Chogdèn (1428-1507) pour susciter une telle ire de la part du hiérarque ? Eh bien ! alors que la lignée d'ordination majeure pour les femmes n'a jamais été introduite au Tibet, en 1490, à l'âge de 63 ans, Serdog Panchen prit l'initiative d'ordonner bhiksuni une certaine Chödroub Pälmo Tso,issue d'une grande famille. Bien sûr, il dut accomplir le rituel avec l'aide seulement de 10 bhiksus, les 10 bhikshuni requises par la règle étant introuvables puisqu' inexistantes. L'essai avait fait long feu. Tous les experts en vinaya s'étaient insurgés, à commencer par le fameux Gorampa, figure de proue de l'orthodoxie sakyapa, et Serdog Panchen avait dû en rester là. Mais le sujet est demeuré brûlant au fil des siècles au point que Kongtrul Yönten Gyatso y fait allusion en des termes sans appel dans son ouvrage encyclopédique "Shes bya kun khyab", qui fait autorité encore de nos jours : "Non, il n'y a jamais eu introduction au Tibet des lignées de bhikshuni et de shikshamana. Seulement celle de shramanerika."
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