Hônyo-ni, héroïne de nombreuses legends, est bien connue des Japonais sous le nom de Chûjôhime. Elle a inspiré beaucoup de récits, de pièces de théâtre (nô, jôruri ...) ; de nombreux épisodes concernent le mandala qu'elle aurait tissé avec du fil tiré de tiges de lotus.
Pour les moniales, Hônyo-ni est surtout une religieuse vertueuse et exemplaire.
Depuis le développement du Bouddhisme par le prince Shôtoku, cent ans environ se sont écoulés et la prospérité de la doctrine est à son apogée : les empereurs et les impératrices montrent un grand respect pour les Bouddhas (Shômu, Kômyô) et des moines illustres apparaissent, comme Roben (689--773), Ganjin (689-763) ou Gyôki (668-749). On construit dans tout le pays des temples provinciaux, et surtout le Tôdai-ji et la gigantesque statue du Bouddha (Daibutsu).
C'est à cette époque que naît Chûjôhime et la ferveur qu'elle a toujours témoignée au Bouddha, l'ardeur avec laquelle elle a pratiqué l'enseignement doivent sans doute beaucoup au climat religieux du Japon d'alors. Chûjôhime est née en 747 à Nara; elle est la fille de Fujiwara no Toyonari (704?-765), ministre de la droite célèbre, descendant de Fujiwara no Fuhito. Elle appartient donc à une famille illustre. Toyonari, en dehors de ses fonctions gouvernementales, s'adonnait à l'étude, à la musique; il était réputé pour sa clémence vis-à-vis du peuple.
Parvenu aux plus hautes dignités, son seul regret était de n'avoir pas d'enfant, à quarante ans passés. Il se rendit donc avec son épouse, Murasaki no Mae, au Hase-dera du Yamato et pria Avalokitesvara pour obtenir un enfant. Avalokitesvara répondit à leur appel et leur expliqua qu'ils n'avaient de relations karmiques avec aucun être telles qu'il devint leur enfant. S'ils désiraient malgré tout assurer leur descendance, ils devaient savoir que, dans ce cas, l'un d'entre eux perdrait la vie dans les trois ans.
Le couple décida que, sans enfant, leurs existences seraient vaines et accepta les conséquences qui en découleraient. Une nuit, ils rêvèrent qu'ils recevaient la tige d'un lotus blanc et quelques mois plus tard naquit une petite fille 'semblable à une perle". Ainsi la naissance de Chûjôhime est-elle déjà hors du commun et propre à exciter la verve des conteurs, qui n'auront que l'embarras du choix parmi les épisodes merveilleux qui parsèmeront sa vie.
Inutile de souligner la joie des nouveaux parents qui en oublièrent le danger qui les menaçait, tout à la joie de voir grandir leur enfant. La petite fille avait des dons remarquables et tous s'accordaient à dire qu'elle était vraisemblablement une émanation d'un Bodhisattva.
A l'âge de quatre ans, elle sortit une nuit dans le jardin. Apparut alors on ne sait d'où un renard blanc comme l'argent qui vint vers elle, laissa tomber un rouleau qu'il tenait dans sa gueule et disparut. Sur ce rouleau était écrit en lettres d'or sur papier bleu sombre un sûtra qui louait les splendeurs de la Terre Pure et enseignait les vertus de l'invocation du nom du Bouddha Amitâbha (Nenbutsu) qui permet de renaître à Sukhâvatî (Kyokurakusekai : Paradis de l'Ouest). De ce jour, la princesse ne se sépara plus de ce volume et son voeu de transmigrer en Terre Pure vint sûrement de là.
En 751, lors d'une fête à l'occasion de la floraison des pêchers, la mère de Chûjôhime rappela la prédiction d'Avalokitesvara selon laquelle un des parents mourrait dans les trois ans qui suivraient la naissance, or la princesse approchait de ses cinq ans. Le Bodhisattva devait donc s'être trompé. Elle n'avait sans doute pas l'intention de critiquer les Bouddhas et les Bodhisattvas, mais avait da parler sans réfléchir, grisée par le bonheur présent. Mais à peine eut-elle dit cela que le ciel de printemps radieux devint nuageux, la pluie se mit à tomber avec une grande violence, les éclairs brillèrent et le tonnerre gronda. On entendit une voix tonner : "Tu as dit sottement que les Paroles du Bodhisattva étaient mensonge. Alors que tu aurais dû mourir depuis longtemps, parce que cette fille que tu as mise au monde est promise à un destin exceptionnel, les Bouddhas t'ont assuré leur protection pour prolonger ta vie) afin que tu puisses l'élever. Et sans reconnaître leur compassion, tu les as insultés. Cette faute ne peut être réparée."
Il est surprenant que dans cette atmosphère effrayante, Murasaki no Mae ait seulement failli s'évanouir. Peu de temps après, elle tomba malade et aucun traitement ne put la sauver.
La petite fille, jusqu'alors choyées et adorée, connut alors un destin malheureux. Sa belle-mère la détestait, d'autant plus que les talents et la beauté de la princesse ne cessaient d'augmenter. Quand la marâtre eut elle-même un enfant, elle décida, poussée par la haine et la jalousie, de supprimer Chûjôhime, qui avait alors treize ans (760). Profitant de ce que Toyonari soit parti en mission en confiant tout à sa garde, elle ordonna à un vassal sûr, Matsui Katôta, d'emmener la princese dans un endroit écarté pour la supprimer.
Aveuglé par la cupidité, Matsui accepta et entraîna Chûjôhime à Hibariyama, mai quand il voulut la tuer, il fut touché par la pureté de sa victime et ne put abattre son sabre sur elle. Il révéla toute la conspiration à Chûjôhime, qui, même si elle fut étonnée par la méchanceté de sa belle-mère, garda une attitude sereine et empreinte de dignité. Elle expliqua à son exécuteur que tous les événements de notre vie viennent de nos karma, des actions que nous avons commises dans le passé ; que nous sommes donc entièrement responsable de notre sort, nous et aucun autre. Puis elle confessa et regretta ses fautes passées, sans manifester de haine ou de rancoeur pour personne. Au contraire, elle se tourna vers l'ouest et, après s'être prosternée trois fois, et avoir récité le Henbutsu, elle prit le Sûtra de la Terre Pure, qu'elle n'oubliait jamais d'emmener, et le lut trois fois avec soin : pour le repos de l'esprit de sa mère, pour le bonheur de son père dans cette vie et les suivantes, et pour que sa belle-mère soit débarrassée de ses tendances au mal et trouve la paix dans ses prochaines existences. Ensuite, elle remit sa vie entre les mains de Matsui Katota.
Touché par tant de noblesse, Matsui ne put empêcher les larmes de lui monter aux yeux; tous ses mauvais penchants disparurent et il prit la résolution d'assurer désormais la protection de Chûjôhime. Il rentra à Nara pour rendre compte de sa mission à sa maîtresse; afin d'abuser cette dernière, il substitua à la princesse sa soeur de lait (la fille de Kunioka no Shôkan), puis il revint avec sa femme à Hibariyama pour servir.
Chûjôhime. La princesse avait connu tout enfant la douleur d'être séparée de sa mère et de-tomber entre les mains d'une marâtre; ces revers lui avaient fait prendre conscience de l'impermanence de tous les phénomènes et de la nature réelle de l'existence sur cette terre, la souffrance. Trouvant refuge dans la compassion des Bouddhas qui oeuvrent pour sauver les êtres, sa conviction religieuse augmenta de plus en plus. A Hibariyama, elle passait ses journées à chérir le souvenir de sa mère, à invoquer Amitâbha et à lire le Sûtra. L'année suivante, Matsui tomba malade et mourut. Les deux femmes, en larmes, l'enterrèrent près de leur hutte, lui firent une tombe en empilant des pierres et, de ce jour, matin et soir, vinrent là prier pour lui.
En 762 la princesse eut la joie de retrouver son père. Toyonari était enfin rentré de mission et son épouse lui avait raconté que, pendant son absence, Chûjôhime était tombée dans la licence, que finalement elle s'était enfuie et qu'on ne savait pas ce qu'elle était devenue. Toyonari, qui connaissait sa fille, ne put en croire un mot. D'autres faits incompréhensibles le troublaient : la disparition de Matsui et de sa femme, la mort subite de la fille de Kunioka Shôkan ... Toyonari passait son temps à penser à sa fille et devenait de plus en plus mélancolique. Ne pouvant supporter de le voir dans cet état, Kunioka Shôkan, qui connaissait l'histoire réelle, prépara en secret une rencontre entre le père et la fille, sous le prétexte d'une partie de chasse...
Les retrouvailles dramatiques à Hibariyama ont souvent servi de sujet dans la littérature japonaise. Toyonari n'entendait bien sûr pas laisser dans une cabane sa fille enfin retrouvée, mais celle-ci pensait que, si elle réapparaissait à Kara; la cruauté de sa belle-mère risquait d'être révélée et elle craignait la réaction de son père. Plutôt que d'acculer celle qui avait désiré sa mort, elle pria Toyonari de lui permettre de rester à Hibariyama, mais elle ne parvint pas à le convaincre. On dit que terrible fut la rage de la marâtre en voyant arriver la princesse ; elle quitta d'elle-même la maison et disparut sans laisser de trace.
Chûjôhime jouit à nouveau d'une vie luxueuse, entourée de l'affection et des attentions de son père. Mais les plaisirs de ce monde, dont elle connaissait la vanité, ne la satisfaisaient pas. Elle désirait aider les autres, se sacrifier pour eux; elle avait réalisé l'esprit d'Eveil (Bodhicitta). Poussée par l'aspiration à la libération, elle envisageait d'entrer dans les ordres mais son père était défavorable à ce projet. Aussi, une nuit, s'enfuit-elle en cachette et alla au Taimadera (ou Zenrin-ji), construit en 6'12 par le prince Maroko, fils de l'empereur Yômei, amené au Eouddhisme par son frère aîné Shôtoku. Toyonari fut surpris et triste quand il s'aperçut que Chûjôhime était partie en compagnie de la femme de Matsui Katôta qui continuait à la servir. Il ne lui resta plus qu'à accorder sa permission, reconnaissant la force de l'aspiration religieuse de sa fille.
C'est le commencement de la carrière monastique de Chûjôhime. Elle pratique les enseignements qu'elle reçoit avec une grande ferveur et, un an plus tard, en 763, elle prend les voeux et revêt l'habit religieux. Son nom est désormais Hônyo-ni. Chûjôhime avait alors seize ans. La noblesse de son caractère s'accrut encore et chaque minute de sa vie était dédiée au Bouddha. Son aspiration à l'Eveil ne cessait de s'affermir.
Pour symboliser sa recherche de la Vérité, Hônyo--ni devait faire mille copies du Sutra que lui avait jadis apporté le renard blanc. Il s'agissait d'une version nouvelle du Sûtra d'Amitâbha; il expliquait quels sont les racines des vertus, les mérites immenses de Nenbutsu et ses qualités. Deux fois plus long que le Sûtra d'Amitâbha, il est aussi plus détaillé. Chaque jour, Hônyo-ni en écrivit trois copies et acheva sa tâche en un an environ.
Son ardeur se cristallisa dans le désir de confectionner un mandala en fil de lotus; elle prononça le voeu de réaliser cette oeuvre le 23ème jour du Sème mois (763). Hônyo-ni voulait recontrer Amitâbha Lui-même dans cette vie. Elle fit le serment solennel de rester dans le sanctuaire jusqu'à ce qu'il lui apparaisse, dût-elle en mourir. A partir du 16ème jour du 8ème mois, jour et nuit, elle invoqua le Bouddha de l'Ouest et lut son Sûtra. Le 17ème jour, à l'heure du cheval, une vieille nonne apparut et lui dit qu'elle devait effectuer une représentation de la Terre Pure, et avant tout rassembler des tiges de lotus blancs. Hônyo-ni fut emplie de joie; elle demanda à son père de l'aider à trouver les lotus nécessaires. Toyonari envoya des hommes dans le Yamato, à Ômi, à Kawachi et quand il y eut assez de lotus, la vieille nonne apparut à nouveau et aida Hônyo--ni à dérouler le fil en cassant les tiges. Ensuite, elle lava le fil obtenu dans le puits situé au nord-est du temple et les écheveaux prirent miraculeusement cinq teintes. Aujourd'hui encore, ce puits est appelé "le puits qui colore". Le 22ème jour, à la tombée de la nuit, vint à son tour une jeune fille qui, tournée vers la nonne âgée, demanda si le fil de lotus était prêt. Satisfaite de la réponse, elle installa un métier au nord-est du sanctuaire et commença à tisser. Au bruit de la navette, la forme de la Terre Pure se laissa peu à peu deviner.
Le mandala fut réalisé en l'espace des trois périodes du sanglier, du rat et du boeuf. La jeune apparition coupa ensuite du bambou qui servit à enrouler la toile, remit le tout à la vieille nonne et à Hônyo-ni et disparut. La vieille religieuse déroula la mandala, l'accrocha face à l'autel, le salua puisse tourna vers Hônyo-ni pour lui en expliquer la signification profonde. Elle révéla qu'elle était Amitâbha, et que la jeune fille était Avalokitesvara; elle prédit à Hônyo-ni qu'elles se rencontreraient à nouveau dans treize ans. Hônyo se dit que, si elle avait eu ainsi l'honneur de se trouver en présence du Bouddha et du Bodhisattva, c'était grâce à la compassion de Matsui Katôta qui l'avait épargnée à Hibariyama. En témoignage de reconnaissance, elle demanda à Toyonari de construire une maison à Hibariyama et d'en faire un lieu consacré à la pratique du Nenbutsu. Elle-même sculpta des statues de Matsui et de sa femme et les plaça dans le sanctuaire. Le jour de l'inauguration, Toyonari décida que la montagne s'appellerait Hibariyama et le temple Shôren-ji (le temple du Lotus Bleu). Il offrit l'ermitage à Nyoshun-ni, l'épouse de Matsui, qui était aussi entrée en religion et était devenue disciple de Hônyo-ni. Nyoshun-ni désirait une statue de son maître pour la révérer chaque jour et Hônyo-ni lui en sculpta une en se regardant dans un miroir, puis elle retourna au Taima-dera en automne.
Peu de temps après, Toyonari tomba malade. Sa fille accourut pour lui prodiguer des soins, mais il décéda à l'âge de 62 ans. Pendant les dix années qui lui restaient à vivre, Hônyo-ni adopta comme résidence principale le Taima-dera et se consacra à l'édification des religieux et des laïcs. Elle exposait la doctrine à l'aide de son mandala et parcourut en enseignant les cinq provinces qui entourent Kyôto (Yamato, Kawachi, Izumi, Settsu, Yamashiro). En 775 vint le moment pour Hônyo-ni de quitter ce monde. Elle avait à peine 28 ans. Les treize années prédites par la religieuse âgée s'étant écoulées, Hônyo-ni réunit les moniales les plus intimes pour leur annoncer la séparation prochaine „leur promit qu'elles se reverraient en Terre Pure, puis elle se prépara.
La nuit du 13ème jour du 3ème mois, elle se baigna, se purifia, se tourna vers l'ouest et, assise en méditation, elle attendit le moment de transmigrer. Elle cessa de respirer le 14ème jour, à l'heure du cheval. Au même instant, des nuages violets apparurent, des parfums s'exhalèrent dans les quatre directions et de la musique emplit l'espace. Dans les rayons lumineux, 25 Bodhisattvas vinrent à la rencontre de Hônyo-ni.
Telle est l'histoire de Chûjôhime . Les nombreux épisodes merveilleux peuvent susciter le doute en certains, mais il est indéniable que Chûjôhime a existé et qu'elle a tissé un mandala. Elle a ainsi contribué à l'expansion du Bouddhisme au Japon, et, en particulier, à la propagation de l'enseignement de la Terre Pure, bien avant Hônen et Shinran. Depuis l'époque de Kamakura, son mandala est devenu un des trésors les plus sacrés de l'école amidiste. Le Shôren-ji a été réuni au Chion-in; après l'incendie qui l'a ravagé en 1784, il a été reconstruit, mais en 1815, il a été victime d'une inondation très forte. En 1784, les statues ont échappé â la combustion et n'ont subi que des brûlures; par contre, tous les écrits ont disparu dans les flammes et beaucoup de points restent obscurs, faute de documents. Le Tensei-ji de Kyôto, appelé aussi Taimamandara-in, serait l'héritage de Chûjôhime; il possède la statue en bois de Hônyo-ni et d'autres trésors venant d'elle.
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