B. FORMATION DE LA COMMUNAUTE BOUDDHISTE FEMININE AU JAPON
1) Les origines du Bouddhisme au Japon et les premières moniales.
Le Bouddhisme a pénétré au Japon par l'entremise de la Corée. En 522, le roi de Kudara, Sông (Seimuno, 523-544), adresse à l'empereur Kinmei (509-571) divers présents : des parasols en soie, des bannières mais surtout des sutras, une statuette en bronze doré du Bouddha et une lettre où il loue les mérites de cette doctrine supérieure à toute autre.
Ceci est la version officielle, transmise par le Nihonshoki, mais, semble-t-il, le Bouddhisme avait déjà pénétré auparavant au Japon, de façon officieuse, et il était connu du peuple.
Fin 577 le roi de Kudara adresse de nouveau des envoyés à la cour; parmi eux figurent des moines, et une nonne dont le nom est inconnu, malheureusement, mais qui est la première religieuse dont on trouve trace dans les documents officiels. Il y eut sans doute beaucoup d'autres moniales coréennes qui vinrent au Japon mais, ou elles rentrèrent rapidement dans leur pays, ou elles redevinrent laïques, car on n'en fait pas mention.
En automne 584 Kabuka no Omi rapporta de Kudara une statue en pierre de Maitreya (Mirokubosatsu) et Saheki no Muraji une statue du Bouddha. Afin de traiter convenablement ces objets sacrés, Soga no Umako (?-626), qui était un fervent bouddhiste, envoya des émissaires dont Kurabe no Sukuri, Shiba Tatto, à travers tout le pays pour rechercher des moines qui consacreraient les statues.
Ils découvrirent par hasard à Harima (dans l'actuel département de Hyôgo) un ancien moine, venu de Kudara, qui s'appelait Ebin.
Bien qu'il soit revenu à l'état laïc, Soga no Umako décida qu'il jouerait le rôle d'âcârya (Ajari) et fit entrer en religion auprès de lui la fille de Shiba Tatto qui avait alors 11 ans (selon le Nihonshoki) ou 17 ans (d'après les registres du Gangô-ji). Elle prit pour nom religieux Zenshin. En même temps, Toyome, la fille de Ayahito no Yabo, et Ishime, la fille de Nishigori no Tsubu, renoncèrent au monde et devinrent disciples de Zenshin sous les noms de Zenzô et Ezen. On peut noter que toutes trois descendaient d'émigrés coréens ou chinois.
Elles sont les premières au Japon à être entrées dans la communauté monastique bouddhiste (584) ; qu'il y ait eu au Japon des moniales avant des moines est un fait remarquable et exceptionnel dans l'histoire mondiale des religions.
Soga no Umako ordonna à Shiba Tatto de construire un sanctuaire à l'est de sa résidence et d'y installer la statue en pierre de Maitreya puis d'y inviter les trois nonnes pour qu'elles en célèbrent la consécration.
En 585 le Japon est malheureusement ravagé par une famine et Soga no Umako tomba malade pendant la construction d'un stûpa sur la colline d'Unie.
Le clan anti-bouddhiste qui avait à sa tête Mononobe no Moriya et Nakatomi no Katsumi en profita et accusa le Bouddhisme d'être la source de tous les maux qui s'abattaient sur le pays; la pétition qu'ils avaient adressée à l'empereur fut agréée et ils purent dévaster et brûler le sanctuaire. La statue qui était restée intacte dans les flammes fut jetée à la mer, dans la baie de Nanba. Les religieuses furent arrêtées, dépouillées de leurs habits monastiques et emprisonnées à Tsuba-ichi, dans le département de Nara. De temps en temps, on les tirait de leur geôle pour les flageller sur la place publique.
Mais rien ne vint à bout de la ferveur religieuse de ces trois moniales courageuses. Le plus dur, pour elles, fut la privation de leurs vêtements sacrés, dirent-elles.
Mais le Japon subit encore une épidémie; les gens mouraient, se plaignant de ressentir comme des brûlures et des coups de fouet.
Le bruit se répandit que cette nouvelle catastrophe était le résultat du traitement infligé à la statue de Maitreya, incendiée puis immergée, et l'empereur autorisa Soga no Umako à repêcher la statue et à établir et diffuser l'enseignement bouddhiste au Japon.
Les trois moniales furent libérées et ramenées auprès d'Umako. On recommença à édifier des sanctuaires et des temples.
En 588, l'année où Soga no Umako ordonna la construction du Hôkô-ji (ou Gangô-ji, ou Asukadera, achevé en 596), Senshin-ni et ses deux compagnes partirent pour étudier les règles monastiques à Kudara. Zenshin-ni prit en 588 les voeux de çiksamânâ (probation) et reçut deux ans plus tard l'ordination complète devant un chapitre composé de moines et de moniales (validité de cette ordination?).
Au printemps 590, elles rentrent toutes les trois au Japon, elles établissent leur résidence au Sakurai-ji, dans le Yamato, et se consacrent à la pratique.
Attirés par la réputation de Zenshin-ni, hommes et femmes, sans distinction, viennent auprès d'elle et deviennent ses disciples. Parmi eux, on note onze femmes qui se firent nonnes, comme l'épouse de Ôtomo no Koma (Zenmyô) ou la fille de Ôtomo no Sadehiko (Zentoku-ni) et surtout le fils de Shiba Tatto, Tasuna, qui serait entré en religion pour la guérison de l'empereur Yômei. Il est connu sous le nom de Tokusai. C'est le premier moine japonais. On rapporte ausi qu'à la mort de Soga no Umako (626), mille hommes et femmes embrassèrent la vie religieuse.
Peu de temps après être rentrée de Corée, Zenshin-ni institua au Sakurai-ji le posadha (réunion de toute la communauté, deux fois par mois, pour la confession des transgressions aux préceptes pris). Les moniales japonaises peuvent donc s'enorgueillir d'avoir été les premières à créer le Samgha dans leur pays, d'avoir instruit et eu pour disciples les premiers moines et d'avoir instauré le posadha.
2) L'essor des communautés de moniales
Le Bouddhisme prospéra ensuite grâce à la protection du prince Shôtoku et de l'impératrice Suiko. De nombreux monastères furent construits dans tout le Japon, comme le Kongô-ji, à Kawachinagano. Le prince Shôtoku lui-même (574-622) serait à l'origine de sept temples, dont quatre pour les moniales 1- le Chugu-ji appelé plus tard lkarugagosho, résidence de la mère de Shôtoku Taishi, Anahobe no Hashihito no Himemiko (?-621).
2- le Tachibana-dera construit en 606.
3- le Ikejiri-dera, connu aussi sous les noms de Hokki-ji ou Okamoto-dera, était en fait un palais que Shôtoku Taishi possédait à Okamoto, dans le département de Fukui.
4- le Katsuragi-dera, au nord du Sakurai-ji, qui a été détruit et dont il ne reste plus le moindre vestige; ce devait être un temple du clan des Soga.
En 624, il y aurait eu au Japon, d'après le Nihonshoki, 816 moines, 569 moniales et 416 monastères (545 en 692).
Le nombre des religieux ayant beaucoup augmenté, il devenait nécessaire de créer une organisation sur laquelle ils puissent s'appuyer. Des organes de contrôle sont institués sur le modèle chinois; début 624 sont instaurées les fonctions de "contrôleur de la communauté", comprenant trois degrés hiérarchiques (recteur monacal, préfet monacal et maure en discipline). On construit des temples et monastères dans toutes les provinces et on y fait dire des prières pour la prospérité de l'état : le Bouddhisme a été accepté au Japon, ne l'oublions pas, comme instrument politique avant tout. Sous l'empereur Tenmu (mort en 686), des stras sont distribués aux gouverneurs de province.
Mais le Bouddhisme étant une arme efficace pour les dirigeants il doit être réservé à l'élite, et en 717, un édit interdit aux paysans d'entrer librement en religion. il y a aussi une tentative pour réprimer les abus auxquels se livraient certains religieux.
L'empereur Shômu (701-756), bouddhiste convaincu, décide en 741 de faire édifier dans chaque province des temples dits "provinciaux pour les moines (kokubunji) et pour les moniales (kokubunniji). Ces temples, en tout plus de trente, seront censés écarter les malheurs, accumuler des mérites pour la nation; ils seront les garants de la prospérité du pays et du bonheur du peuple.
Le Todai-ji de Nara devient le temple principal; pour les monastères de femmes, c'est le Hokke-ji, fondé par l'impératrice Kômyô, qui joue le rôle de métropole. Selon le Enryakusôroku (chronique relatant l'histoire du Bouddhisme et des moines depuis l'introduction du Dharma au Japon jusqu'à l'ère Enryaku), en 782, il y avait 620 moniales inscrites dans ces kokubunniji. A la mort de l'empereur Shômu, mille femmes entrent en religion. A cette même date, plus de cent nonnes vivent au Kôyakushiamadera.
Le règlement des temples provinciaux était très strict. Les moines n'avaient pas le droit de pénétrer dans les kokubun-niji, ni les moniales dans les kokubun-ji. L'effectif minimum était fixé à dix (il fut porté à vingt en 766); si une moniale disparaissait, il fallait aussitôt combler le vide créé par son départ ou sa mort, c'était une règle impérative. Dans chaque temple, il y avait une sorte d'administrateur, délégué par la Cour pour surveiller les moniales. Le 8 de chaque mois, les nonnes devaient lire le Konkômyôsaishôôkyô, un des trois stras pour protéger la nation grâce à la loi bouddhique. Tous les quinze jours, elles récitaient le Kaikatsuma et confessaient leurs manquements aux préceptes (posadha). Pendant les périodes de retraite, un moine érudit venait leur expliquer le Hokekyô.
A cette époque, il n'existait pas d'inégalité entre les moines et les moniales et la propagation du Bouddhisme permit aux femmes d'augmenter leur degré d'instruction et d'éducation Elles possédaient des monastères puissants à Heijôkyô, comme le Hokke-ji construit sur l'ordre de l'impératrice Kômyô en 746, ou le Sairyû-ji, dû à l'empereur Kôken en 767. Les moniales oeuvrant pour la paix et la prospérité de l'état, ce dernier leur fournit tout ce qui leur était nécessaire. Elles n'avaient aucun souci matériel et pouvaient se consacrer uniquement à leurs études et à leur pratique. A mesure que les monastères provinciaux voyaient s'accroître leur influence, les moniales progressaient sur tous les plans de la société.
De nombreuses impératrices entrèrent en religion : en 749, l'impératrice Kômyô devint moniale sous le nom de Manpuku-ni, auprès du maître Gyôki Bosatsu. L'impératrice douairière Miyako renonça également au monde et prit le nom de Tokuman-ni L'empereur ken et l'impératrice Kômy-ô reçurent les défenses à l'estrade du Tôdai-ji, avec le maître Ganshin.
Pendant les six cents années qui s'écoulèrent depuis l'introduction du Bouddhisme au Japon jusqu'à la fin de Heian, de nombreuses moniales d'une grande valeur se succédèrent. Citons, pour l'époque de Asuka, Zenshin, Zenzô, Ezen, Zentoku Zenmyô, Myôkô, Hômyô, Toran.
A l'époque de Nara se révélèrent Shinshô, Zenkô, Hôjo, Hôkin ou Shari, et à l'époque de Heian, Nyonen (fille de l'empereur Goshirakawa), Hôkô, Nyoi, Myôchû, Nyozô, Shakumyô, Gansei, Myôh-ô, Mukyû. Les biographies de Shinshô et de Zenkô, à l'époque de Nara, ne sont pas claires, mais il est certain, d'après les documen du Shôsô-in, que Zenkô était très connue. Selon les chroniques du Todai-ji, ces deux religieuses auraient demandé, et obtenu, en 749, sous l'empereur Kôken, que soient sculptées les statues des deux Bodhisattvas qui entourent le Bouddha.
Article très intéressant, étant étudiante en seconde année de Japonais, et étudiant ainsi Kodai, ce fut agréable d'avoir quelques détails supplémentaires concernant le Bouddhisme et de voir que, la femme avait finalement une place non négligeable au sein du Japon de l'époque. Votre article m'a également aidé dans mes recherches de traduction, je vous en remercie !
RépondreSupprimerBonne continuation !