jeudi 20 septembre 2007

Végétarisme de rigueur ?

Une question revient souvent : les bouddhistes sont-ils tous des végétariens convaincus ? Elle se décline avec moult variantes légèrement plus connotées, allant de : "Comment ? Il mange de la viande ? Mais je croyais qu'il était bouddhiste !" à "J'ai préparé plusieurs salades. Les gens comme toi (sous-entendu "les illuminés de ton genre") ne mangent que ça, j'imagine…"

En ce qui me concerne, je l'avoue, je suis une végétarienne convaincue qui complique la vie aux gens et les menus depuis le magnifique été 1973 lors duquel j'ai pu écouter pour la première fois un enseignement bouddhiste.
C'était à Rolle, en Suisse. Geshe Rabten, assistant en philosophie de Sa Sainteté le Dalaï lama (mtsan zhabs), nous a exposé le lamrim intitulé "La Voie Aisée" avec la clarté et la précision qui caractérisaient ce grand maître, au même titre que son extrême bonté et son infinie douceur. Les repas étaient strictement végétariens, et j'en ai été ravie : j'ai toujours eu horreur de la viande et dès que j'ai échappé à la surveillance parentale en "montant" à Paris en 1972 bac en poche, j'ai considérablement réduit ma consommation carnée, au demeurant déjà fort modérée.

Dans mon cas personnel, le bouddhisme a donc été un alibi bien pratique pour justifier un goût personnel. Et les autres ?

D'après ce que j'ai pu constater sur le terrain et comprendre au travers des enseignements, dans le domaine de l'alimentation comme ailleurs, le bouddhisme est tout sauf rigoriste et absolutiste. Mais il est rigoureux.

Les principes de base, on en a déjà parlé, sont simples (à énoncer ; pas à appliquer…) :
1. dans la mesure du possible, agir de manière bénéfique pour les êtres (autrui mais aussi soi-même) ;
2. au minimum, s'efforcer de ne pas nuire à qui que ce soit, en tout cas le moins possible.

Qu'en déduire ?
Le samsara est par définition un mode de vie imparfait. Donc, il ne faut pas s'imaginer pouvoir y dénicher quoi que ce soit de foncièrement pur et de totalement immaculé. L'important est de faire de son mieux, pour faire le moins de mal possible, si vous voyez ce que je veux dire.

Bref, à ce que j'ai retenu, dans les enseignements qui forment le tronc commun à tous les bouddhistes, et notamment dans le vinaya (la loi monastique), le Bouddha n'a pas interdit de consommer de la viande, sauf dans certains cas précis.
Par exemple, il ne faut pas se croire permis de tuer des animaux sous prétexte qu'on a envie de manger leur chair. Il ne faudrait pas non plus manger de viande si nous nous rendons compte que, pour nous la servir, nos hôtes vont devoir tuer un animal qui, pour le moment, est encore vivant. Il faudrait également nous abstenir si l'animal a été tué exprès pour préparer le repas à notre intention.
En clair, on pourrait donc manger la viande prélevée sur un animal mort "naturellement" (de vieillesse, de maladie ou par accident) ou tué, mais pas directement pour soi.

Les moines tibétains mangent-ils ou non de la viande ? Eh bien, la plupart d'entre eux, oui, ils en mangent. A l'occasion. Lors d'un repas de fête, par exemple. Tous les jours et en grande quantité ? Sûrement pas. Ca coûte cher, beaucoup trop cher. Par ailleurs, les préparations culinaires asiatiques carnées privilégient la viande en tout petits morceaux.

Il faut prendre en considération les données climatiques et culturelles. Autant le végétarisme est répandu et facile en Inde, autant au Tibet, ce n'est pas "mission impossible", mais pas loin.
Allez trouver des fruits et légumes en hiver, à 5000 mètres d'altitude ! Heureusement, les Tibétains ont la "tsampa", la farine d'orge torréfiée, leur plat national, qu'ils mettent -littéralement - à toutes les sauces. Mais quand ils peuvent avoir un petit apport en protéines, ils ne se le refusent pas en général. Que voulez-vous ? Ceux qui y ont goûté savent combien savoureux peuvent être les fameux "momo" !

C'est pour cela que, quand on lit des biographies de maîtres tibétains, il est parfois spécifié que tel lama ne mange pas de viande, sa vie durant ou à une certaine période de sa vie.
C'est un fait récurrent dans la biographie de Dagpo Lama Rinpoche : il est invité dans un grand nombre de monastères de sa région (le Dagpo et les alentours) et à chaque fois, il fait en sorte de convaincre la communauté locale de renoncer à la viande. Car il n'impose pas un diktat. Il réunit les moines, les invite à réfléchir sur la base de l'enseignement qu'il leur a dispensé (lamrim), après quoi il les fait voter. Tant que l'unanimité ne s'est pas faite, la décision de se convertir aux momo au fromage n'est pas prise. Comme quoi la démocratie n'est pas qu'une conception occidentale… Et que nous avons même des progrès à faire (au cas où nous aurions eu des doutes à ce sujet).

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