Après avoir dispensé à Dagpo Datsang les précieux Enseignements du Lamrim dont nous avons déjà parlé, Rinpoche (par convention, veuillez retenir que, pour moi, "Rinpoche" sans autre précision désigne forcément Dagpo Rinpoche, le Maître auquel je dois tout, depuis l'apprentissage de la langue tibétaine à l'opportunité de rencontrer mes autres Maîtres !), Rinpoche donc a traversé une bonne partie de l'Inde pour gagner le camp tibétain de Mundgod – au sud de Bombay et de Goa, à 50 km de Hubli.
Au cours des quelques jours bien remplis de son bref séjour, Rinpoche a pris le temps de rendre visite à la communauté des moniales gelugpa installées au Camp n° 3, entre Ganden (Lama Camp n° 1) et Drepung – où Rinpoche a coutume de résider au collège de Gomang, puisqu'il y a étudié au Tibet auprès de Geshe Nawang Nyima-lags – grand érudit d'origine bouriate, tuteur entre autres de deux frères du 14ème Dalaï-lama et qui a assumé maintes responsabilités après l'exil en Inde, le deuxième exil pour lui qui avait déjà eu bien du mal à échapper aux communistes en 1917.
Depuis une vingtaine d'années, à peu près, les nonnes de Mundgod se sont mises à étudier très sérieusement la philosophie bouddhiste, en tirant parti de la proximité des deux grands monastères spécialistes en la matière. Leur premier professeur a été un geshe de Ganden Shartse, et à l'époque elles étaient très peu nombreuses. Aujourd'hui, les effectifs se montent à 236 moniales, et certaines sont arrivées en classe d'Abhidharma (métaphysique). Autrement dit, elles ont achevé leur formation.
Bien sûr, tandis que les moines étudient les cinq grands sujets : pramana (logique), paramita (perfection de la sagesse), madhyamika (voie du milieu), abhidharma et vinaya (code monastique), les moniales n'ont pas accès à tous les textes du vinaya, faute d'avoir reçu l'ordination supérieure de bhikshuni. C'est bien là l'un des principaux motifs de revendication de certaines nonnes d'origine occidentale, celles-là même qui font le siège de Sa Sainteté depuis une trentaine d'années et ont organisé le Congrès international des femmes bouddhistes qui s'est tenu à Hambourg fin juillet.
Que voulez-vous ! Il existe dans le bouddhisme trois types de vœux (ou de "préceptes", ou de "défenses" - le vocabulaire varie mais pas le sens) : les vœux de pratimoksha ("concourant à la libération individuelle"), les vœux de bodhisattva et les vœux des tantras. S'il est recommandé et même nécessaire d'étudier la teneur des vœux de bodhisattva avant de les prendre, en revanche il faut prendre les deux autres catégories de vœux sans chercher à les connaître auparavant, car cela empêcherait de les obtenir. On les découvre après. Il ne s'agit pourtant pas de s'engager à l'aveuglette dans une démarche hasardeuse. L'impétrant connaît la finalité des vœux (lui permettre d'accéder à l'un des deux éveils - libération du samsara ou état de Bouddha) ; et il a (en principe) toute confiance en le Guide – le Bouddha Shakyamouni- ainsi qu'en son ou ses propres maîtres.Par ailleurs, toute prise de vœux doit se fonder sur le renoncement au samsara. Quand on n'a plus que dégoût pour les choses de ce monde, y compris les titres et autres privilèges si prisés dans la société profane, que l'on est décidé à s'en dégager et que l'on est convaincu que la voie que l'on emprunte mène là où on veut aller, on ne chipote plus sur les détails. On y va. Les yeux fermés.
C'est manifestement l'état d'esprit dans lequel se trouvent mes sœurs tibétaines de Mundgod.
Sollicitées par l'organisatrice principale du Congrès de Hambourg qui leur a apporté des subventions ô combien nécessaires, elles ont d'abord répondu selon le code de politesse asiatique, c'est-à-dire à mots couverts. Puis comme on les pressait de réclamer ouvertement l'accès à l'ordination majeure de bhikshuni et au titre de geshe, au sens de docteur en philosophie, elles ont fini par exprimer leur position clairement : non, cela ne les intéresse vraiment pas ! Elles, ce qu'elles veulent, c'est s'adonner à l'étude, la réflexion et la méditation, de manière à progresser intérieurement et obtenir des réalisations spirituelles.
En bref, elles aspirent à une pratique fructueuse, ni plus ni moins. Le combat pour les droits de la femme en société tibétaine, ou même bouddhiste, ce n'est pas leur priorité - n'ont-elles pas renoncé au monde en entrant dans les ordres ?
Leur engagement n'est pas de façade. Elles étudient si bien que naguère, lors de débats avec les nonnes de Dharamsala, elles l'ont emporté aisément. Aujourd'hui, leur abbé est un geshe de Ganden Jangtse et leurs professeurs des geshe de Drepung Loseling et de Ganden Shartse.
Elles leur font honneur. Pourtant, elles n'ont pas la vie facile : elles sont très pauvres et manquent cruellement de locaux d'habitation. C'est que les effectifs ont explosé rapidement, mais pas les ressources. A défaut d'autre possibilité, une soixantaine de nonnes logent dans bâtiment désaffecté de la maison de retraite voisine. Le toit fuit de partout, le bâtiment est humide et insalubre mais rien ne peut refroidir (c'est le cas de le dire) l'ardeur de ces pratiquantes remarquables.
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