Nous voici, hélas, de retour, après trois semaines à Dagpo Datsang, connu aussi sous le nom de Lamrim Datsang : le collège monastique du Lamrim.
Comment décrire ces précieuses journées passées au sein de l'accueillante et chaleureuse communauté de Kais ? A l'intention des moines du collège auxquels s'étaient joints quelques autres religieux et laïcs tibétains, nos deux groupes de France et d'Asie (80 personnes environ) et même quelques amis Indiens de Bangalore, l'extraordinaire Maître du Lamrim qu'est Dagpo Rinpoche a transmis "La Libération suprême entre nos mains", enseignement naguère énoncé par le grand Pabongkha Rinpoche (en 1921) et mis par écrit par son disciple principal, Kyabje Trijang Rinpoche (Tuteur junior de S.S. le 14ème Dalaï Lama).
"La Libération suprême entre nos mains" est une présentation assez volumineuse des étapes de la voie qui culmine en l'Eveil de Bouddha. Le texte est en langue moderne, agrémentée d'un style alerte, vivant et coloré. Les explications, claires et précises, sont illustrées par maintes citations et anecdotes puisées tant dans la tradition orale que les ouvrages canoniques, philosophiques ou autres. Le but ? Faire comprendre, bien sûr, mais aussi (et peut-être surtout) toucher et imprégner, transformer, "faire tilt" en quelque sorte. L'important n'est-il pas d'opérer des prises de conscience capables d'entraîner de profonds changements intérieurs, avec leur lot de répercussions sur les comportements extérieurs ?
Rimpoche n'a pas lésiné sur les moyens. Au lieu de répartir la transmission sur deux étés comme il l'avait initialement envisagé, il a préféré la donner d'un coup cette année. Le rythme en a été accéléré. Et quelle densité ! Quelle puissance ! Le Maître est le médecin, qui diagnostique les maladies et met au grand jour les défauts. Personne n'a été oublié. Les lamas, les moines, les nonnes, les laïcs, les Tibétains, les Asiatiques, les Occidentaux, les Français, les petits, les grands, tout le monde en a pris pour son grade. Entre autres effets, cela a cimenté le groupe. Les petits moines nous ont regardés d'un autre œil : de donateurs lointains et éthérés, nous sommes devenus des élèves du même Maître, réprimandés et rappelés à l'ordre comme eux. Certes, ceci n'est que ma propre impression. Vous aurez autant de récits que de participants.
Les enseignements n'ont pas été seulement théoriques. Nous-mêmes avons bénéficié des meilleures conditions : hébergement confortable (oui, d'accord, certaines chambres étaient infestées de puces, et les amis qui logeaient au village ont cohabité avec des scorpions – petits- et une tarentule : il fallait bien un peu d'exotisme) ; repas excellents (trop à l'occidentale à mon goût, mais trop épicés selon d'autres ; comme l'a souligné Rimpoche en public, les Français ne sont jamais contents…) ; températures tout à fait supportables, voir fraîches certains matins ; pluies tombant la nuit ou durant les sessions d'enseignement. Bref, une organisation irréprochable. MAIS les explications de Rimpoche étaient corroborées par les nouvelles du monde.
Dès le 5, nous avons su que nous aurions beaucoup de place dans le temple : le groupe de moines qui voulait venir du Mön était bloqué, les routes s'étant effondrées suite à des pluies violentes. Le 6 en début d'après-midi, nous avons été pris d'inquiétude quand nous avons appris que l'un de nos amis de l'Institut avait attrapé une méningite à l'autre bout du monde. Il était dans le coma, en grand danger de mort. Le temps de demander des prières pour lui (avec succès : notre malade est rentré et a même repris le travail) et nous organisions une collecte : à nouveau, des trombes d'eau s'étaient abattues sur le Mön, détruisant des maisons et faisant des victimes. Plusieurs moines de Dagpo Datsang venaient de perdre un proche – une mère, un frère. Ensuite, certains d'entre nous qui devaient reprendre le chemin du bureau sitôt leur retour au pays ont décidé d'anticiper leur rapatriement sur Delhi, de peur de rater leur avion : les bus, qui mettent normalement 12 heures entre Kullu et la capitale, peinaient dans la boue et les gués contournant les ponts endommagés, au point de traîner 19 à 20 heures, le record par nous connu s'élevant à 30 heures. Pour un trajet d'environ 550 kilomètres. Je vous laisse calculer la moyenne , mais nous commencions à nous demander si nous n'irions pas plus vite à pied. Ou en charrette à foin. Le problème, c'étaient les valises.
Le dimanche 19, rupture dans le programme. Le matin, Rinpoche confère une initiation du Bouddha de médecine puis une initiation de longue vie de Tara blanche. Les gens des alentours affluent au monastère par centaines et se bousculent pour recevoir la bénédiction. Mais l'après-midi, pour les questions-réponses, le temple est redevenu spacieux. Alors que la quasi-totalité des questions lui sont adressées, Rinpoche passe le micro à Guru Rinpoche et à Gen Lochö-lags (Lochen Rinpoche a quant à lui prudemment refusé de prendre place dans les fauteuils en face de l'assistance), quitte à ajouter ensuite une explication complémentaire. Cela nous permet de découvrir que les lycéens tibétains s'interrogent sur ce que la pratique du bouddhisme pourrait leur apporter au quotidien : si le Dharma a pour finalité de préparer les vies suivantes, serait-ce qu'il ne servirait à rien dans l'immédiat ? Non, répond sobrement Rinpoche. La pratique se préoccupe principalement de ce qui dépasse les limites de la seule vie actuelle, mais elle a bien évidemment des répercussions sur la vie en cours.
Ce qu'il faut comprendre (et ce n'est pas si facile), c'est qu'un pratiquant bouddhiste est censé de ne plus attacher une importance capitale et exclusive aux circonstances de cette vie (confort, richesse, notoriété, pouvoir, prestige, etc.). En revanche, il devrait déployer toute son énergie pour obtenir les réalisations spirituelles (amour, compassion, sagesse, etc.) le plus vite possible. L'idéal serait de devenir Bouddha dès cette vie ; à défaut, aryabodhisattva ; à défaut bodhisattva ; à défaut il faudrait se hisser à un niveau spirituel dit "sécuritaire" pour ne plus avoir grand chose à craindre du samsara. Au strict minimum, il importe d'observer une éthique suffisamment pure pour, au sortir de cette vie, ne pas chuter dans les sphères infortunées mais reprendre une naissance favorable. Pas n'importe quelle renaissance favorable. Une qui permette de reprendre le cheminement spirituel de manière à continuer à avancer sur la voie jusqu'à obtenir l'état de Bouddha. Ceci suppose d'ajouter à l'éthique la mise en œuvre des cinq autres vertus cardinales : générosité, patience, enthousiasme, concentration et sagesse. En outre, il faut prendre soin de judicieusement orienter les effets des six vertus en formulant des vœux et prières qualifiés de "purs" en ce sens qu'ils ne sont pas entachés par le moindre intérêt pour la seule vie présente. Sinon, faute de vœux adéquats, la générosité ou la patience par exemple donneront peut-être de bons résultats, mais très limités. Pourquoi avoir écrit "peut-être" ? Parce que des vertus qui ne sont pas "protégées" par une motivation et une dédicace puissantes et de grande envergure (en vue d'obtenir la libération ou mieux, l'état de Bouddha) sont exposées à être anéanties ou en tout cas endommagées par la colère, la jalousie, l'orgueil ou encore les vues fausses par lesquels on se laisserait dominer.
Puissent tous les mérites accumulés à Kullu au mois d'août, mêlés à tous les mérites accumulés par tous les êtres au cours des trois temps, contribuer à la pérennité de l'Enseignement, à la longue vie des Maîtres et au bonheur de tous les êtres.
Merci Marie-Stella de nous faire participer au précieux enseignements que vous avez reçus à Kullu
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