Je Namgyäl Pälsang (rJe rNam-rgyal dpal-bzang ; 1541 - 1602), 15ème abbé de Gyudmed Datsang
Drubwang Tsangtön Namgyäl Pälsang (Grub-dbang gtsang-ston rNam-rgyal dpal-bzang), né à Tanag dans le Tsang, devient moine à Pälkhor Chöde puis entre à Tashilhunpo, au collège Shartse. Il y reçoit les enseignements de Lodrö Legsang (Blo-gros legs-bzang) puis effectue le "circuit de présentation des dix textes" (bka'-bcu'i grva-skor). Le grand Ensapa Losang Döndrub (dBen-sa-pa Blo-bzang don-grub ; 1505-1566) lui enseigne les Grand et Petit Lamrim, le Ngagrim et lui donne des explications profondes (zab-khrid) à propos de Guhyasamāja, Samvara et Vajrabhairava qu'il met en pratique avec succès.
Ensuite, sur les conseils de Ensapa, il retourne à Tashilhunpo approfondir ses connaissances sur les cinq grands sujets, après quoi il accomplit le "circuit de débats"* (rab-'byams-pa'i grva-skor), au grand monastère de Ngamrin et à Pälkhor Chöde. Il devient alors abbé de lHakhang Datshang, l'un des collèges de ce dernier monastère.
Un jour, alors que l'on restaure les habitations des moines, la paroi de la grotte d'où l'on extrait le sable blanc ( sa-men) se fissure au point que les travailleurs n'osent plus y pénétrer. Je Namgyäl Pälsang leur dit : "Extrayez. Je tiens tout." et, se plongeant en concentration, il garde le pied posé sur l'extrémité de la fissure. Sitôt tous les moines ressortis, il retire son pied et la caverne s'écroule ... En d'autres termes, il est connu comme un siddha aux extraordinaires pouvoirs.
De Panchen Rigpai (Senge Pan-chen Rig-pa'i seng-ge), il reçoit l'entière transmission (explication et lecture) des ouvrages concernant Vajrabhairava composés par Khedub Je (mKhas-grub rje) et achevés par Je Lodrö Chökyong (rJe Blo-gros chos-skyong) ainsi que celle d'œuvres de Je Tsongkhapa comme les Quatre Commentaires combinés ('Grel-ba bzhi sbrags) (lecture) ou laGrande Explication des deux stades ( bsKyed-rdzogs-kyi rnam-bshad chen-mo) , instructions comprises (exposé et lecture). Il est ainsi le chaînon qui unira les deux lignages d'explication de Segyud et de Gyudmed (Srad-rgyud et sMad-rgyud), et débutera un lignage commun appelé en tibétain rgyud-pa zung-'brel-gyi bshad-rgyun.
Son aspiration pour les tantra s'étant encore accrue, il va à Ganden auprès du Ganden Tripa (dGa'-ldan khri rin-po-che Byams-pa rgya-mtsho). Il effectue la transcription de son exposé des stades de production et d'achèvement de Guhyasamāja et reçoit en outre des enseignements (bshad-lung : exposé et lecture) sur - rGyud tika (jusqu'au quatorzième chapitre), - gSang-'dus bskyed-rdzogs chen-mo gnyi et dmar-khrid lag-rjes (ou encore dmar-khrid brtsi-bzhag).
Lorsque Namgyäl Pälsang demande ensuite l'exposé (bshad-pa) des Quatre Commentaires combinés, le Ganden Tripa lui conseille d'aller à Gyudmed Datsang, ce qu'il fait. Trois années durant, il étudie minutieusement (zhib-bshad) le volumineux ouvrage avec l'abbé Gedun Gyältsän (dGe-'dun rgyal-mtshan). Bien qu'il souffre ensuite énormément des jambes, il s'obstine à rester une année supplémentaire et reçoit intégralement la transmission des tantra nouveaux (gsar-ma rgyud-'bum-gyi lung-rgyun) de la part de Chönä Nätänpa (mChod-gnas gnas-brtan-pa).
Je Namgyäl Pälsang retourne dans le Tsang et devient l'abbé de Serdingpa . Il y institue l'enseignement du rGyud tika et du 'Grel-pa bzhi sbrags sur le modèle de Gyudmed Datsang, ce qui suscite l'afflux des lettrés du Tsang. Il se rend à nouveau à Gandan et, lors de la réunion (à mChod-chung) des trois communautés de Gyutöd, Gyudmed et Serdingpa, les geshe de Serding se montrent cette fois là les plus brillants, ce qui accroît sa notoriété.
Il est alors sollicité à la tête du collège de Gyudmed par Trichen Jampa Gyatso (Khri-chen Byams-pa rgya-mtsho) et Depa Tashi (sDe-pa bKra-shis-pa). Je Namgyäl Pälsang accepte mais fait un détour par le Tsang pour se désigner un successeur à Serding (mKhas-dbang bKra-shis rin-chen).
Je Namgyäl Pälsang accède donc en 1589 à la fonction d'abbé de Gyudmed Datsang, qu'il occupera quatorze ans. Il introduit plusieurs réformes et le programme annuel tel qu'il l'agence est toujours en vigueur de nos jours.
Prenant en compte les difficultés des moines (qu'il a naguère lui-même connues), il leur fait désormais servir tous les jours un thé lors de la cérémonie du matin (snga-ja). Il instaure la tradition d'entamer l'enseignement du 'Grel-pa bzhi sbrags à Zhog Gurmön et d'achever le rGyud-'grel à Chimiglung . Il établit deux cérémonies (Bla-ma rgyud-mchod et rgyud-gtad-pa) : les moines adressent des offrandes à l'abbé en remerciement ; l'abbé, quant à lui, leur "confie" (gtad-pa) l'enseignement. Il prescrit d'accomplir les torma des dix déités courroucées (khro-bcu'i gtor-ma) conformément au tantra explicatif Vajramālā (rDo-rje phreng-ba). Il fixe le programme de chaque classe : les douze premiers chapitres du Guhyasamājatantra pour la classe inférieure (Tika chung-ba), les dix-sept chapitres au complet pour la classe supérieure (Tika che-ba ).
Désormais, la session de Chimiglung est consacrée à l'entraînement "artistique" : danses, tracés et mélodies (gar, thig, dbyangs) ainsi qu'à la pratique des trois "fondements (gzhi)" : la confession (gso-sbyong), la retraite d'été (dbyar-gnas) et la sortie de retraite (dgag-dbye).
Inlassablement, chaque année, Je Namgyäl Pälsang transmet et enseigne des ouvrages profonds et ... volumineux :
- 'Dus-pa'i bskyed-rdzogs-kyi zin-bris (de Je Tsongkhapa),
- 'Jigs-byed bskyed-rdzogs (de Je Tsongkhapa ),
- bsKyed-rdzogs (de Guhyasamāja) venant de rGya-ra-pa Chos-skyong rgya-mtsho, Byams-pa rgya-mtsho et dGe-'dun rgyal-mtshan.
Il donne la lecture (lung) et les instructions orales (zhal-shes) des ouvrages de Khedub Je et de ses disciples concernant Vajrabhairava ('Jigs-byed bskyed-rdzogs chen-mo [zab-bshad], Las-sbyor 'phrul-'khor phyag-len) et les protecteurs (mGon-po Chos-rgyal gnyis kyi be'u-bum man-ngag).
Des lettrés du Centre (dBus), mais aussi du Tsang et du Kham, viennent recevoir de lui ces rares et précieuses transmissions. En principe, dans les deux collèges tantriques, seuls les membres de la communauté ont le droit d'assister aux enseignements, mais Je Namgyäl Pälsang accorde une permission exceptionnelle à Panchen Losang Chökyi Gyältsän (Pan-chen Blo-bzang chos-kyi rgyal-mtshan ; 1570-1662), qui obtient gSang-'dus bskyed-rdzogs lors d'une session à Ganden, et les Quatre Commentaires combinés dans la cour scolastique (chos-rva) de Tshäl où on érige un trône en pierre à son intention et où il plante deux arbres en souvenir, un conifère et un pêcher.
Dans un tout autre domaine, Je Namgyäl Pälsang fait exécuter par neuf peintres renommés de magnifiques fresques sur les murs extérieurs du sanctuaire de Tshäl, non loin de Lhasa. Elles auraient fait l'admiration de Bishva Karma Chöying Gyatso (Chos-dbyings rgya-mtsho), artiste célèbre, et de Jamyang Zhäpa ('Jam-dbyangs bzhad-pa). Celui-ci aurait dit qu'elles produisaient un tel effet que, pour peu que le soleil donnât, on n'osait plus regarder les déités courroucées.
A l'occasion de ce travail, la réputation de Je Namgyäl Pälsang croît de plus belle : la peinture bleue vient à manquer et les artistes ne savent plus que faire. L'abbé les rassure : "Vous en trouverez tant que vous voudrez à Gribkyi Ri". Ce n'est pas trop loin ; c'est une montagne près de Lhasa et Tshäl et, de fait, dès que les ouvriers creusent le sol d'une coudée, ils voient la terre et la montagne comme entièrement bleues. Mais quand un peu plus tard ils reviennent à cette mine, plus rien ! Tout a repris un aspect banal. La rumeur se répand et le prodige est interprété comme un signe de la complète domination de son esprit par son auteur. La seule application d'une quelconque instruction n'aurait pu suffire.
Un autre jour, c'est le sable blanc (sa-men) qui fait défaut et Je Namgyäl Pälsang de conduire ses travailleurs à Dzari . A peine ont-ils creusé d'une coudée qu'à nouveau toute la montagne leur semble faite de sable. L'expérience se renouvelle avec succès par deux fois, "alors que maintenant, ajoute Jamyang Zhäpa ', le sable y est introuvable." A la même époque, Je Namgyäl Pälsang imprime la trace de ses mains et de ses pieds sur le mur couvert de fresques à Tshäl et "tout le monde le voit".
Il lui semble nécessaire de construire un nouveau bâtiment dévolu aux tantra (rgyud-khang) à Zhog Gurmön ; il obtient le financement de Depa Yulgyäl (sDe-pa g.Yul-rgyal) avec lequel il entretient alors les meilleures relations de maître à disciple. L'Abbé célèbre la consécration ; les moines disposent de meilleures conditions, et tout semble évoluer pour le mieux. Mais arrive un jour un serviteur de Depa Kyishöpa (sDe-pa sKyid-shod-pa), en fuite, qui implore la protection de la communauté. Yulgyäl exige qu'on lui livre le fugitif. Je Namgyäl Pälsang ne peut s'y dérober mais, décidé à obtenir qu'on lui laisse la vie sauve, il accompagne en personne le prisonnier et ses gardes. Trois jours durant, il se morfond dans un vestibule. Non seulement Depa Yulgyälpa ne lui accorde pas d'entrevue mais on ne le laisse même pas entrer à l'intérieur de la résidence. L'Abbé manifeste alors son ire : "Si on ne m'accorde pas la vie d'un homme, il n'est pas de relation de maître à donateur qui tienne ! De ce jour, vos engagements sont corrompus ", et il agite son chapeau en murmurant des formules. On raconte que Depa Yulgyälpa perdit quelques temps après ses terres et son pouvoir et qu'il mourut dans la misère exilé au loin. La malédiction toucha aussi ses descendants ; ils eurent beau faire célébrer maintes cérémonies propitiatoires par les deux collèges tantriques et par les plus grands maîtres, rien n'y fit .
En 1602, le 24ème jour du 11ème mois, Je Namgyäl Pälsang décède après une vie bien remplie. Il avait apporté un développement marquant aux communautés dont il avait fait partie : Pälkhor Chöde, Segyud et bien évidemment Gyudmed Datsang.
Tantriste aux pouvoirs reconnus, il manifeste à maintes occasions la plus grande humanité : il se soucie du bien-être des moines ordinaires, leur allouant du thé au petit matin ou faisant mettre à leur disposition des locaux mieux appropriés à Zhog Gurmön. Dans l'espoir de sauver un manant, il n'hésite pas à se déplacer et à patienter humblement dans l'antichambre d'un seigneur qui est également son disciple - trois jours durant ! Il ne peut cependant laisser impunies les rebuffades que se permet de lui opposer l'arrogant suzerain.
* le "circuit de débats" : les moines philosophes des différents écoles (Kadam, Sakya, Bulug, etc.) allaient d'un monastère à l'autre pour soutenir des débats dialectiques, et obtenaient un titre correspondant au nombre de thèmes abordés.
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