Gyudmed Datsang est sans doute le seul monastère tibétain qui ait banni les châtiments corporels de son éventail de peines. Les deux collèges qui suivent presque exactement son modèle, Gyutö et Dagpo Datsang, s'en écartent sur ce point.
En fait, la finalité n'est pas ici de châtier un coupable mais d'aider quelqu'un dans l'erreur à surmonter des obstables, en lui permettant notamment de purifier les empreintes négatives qu'il aurait engrangées. En fait de punitions, ce sont plutôt des pratiques qu'on lui propose : prosternations, mémorisation et récitation de textes supplémentaires - qui lui sont personnellement adaptés, - ou encore travail au service de la communauté (cuisine, ménage) etc..
D'un autre côté, comme chacun est censé avoir le sens des responsabilités, si un moine refuse de s'amender et néglige de présenter des excuses alors que le maître de discipline a déjà évoqué par deux fois sa méconduite lors des assemblées , la troisième admonestation équivaut à un avis d'expulsion. Quelques fautes graves entraînent le renvoi immédiat : le vol, le pugilat ou encore des rapports sexuels avec une femme (qui, du reste, font perdre les vœux de moine).
Pour réprimer les fautes légères, certains dirigeants innovent et font preuve d'imagination. Chez les Tibétains, les lampes à beurre sont d'usage courant, et de ce fait les anecdotes abondent à leur sujet.
L'une d'entre elles concerne Serkong Rinpoche Ngawang Gedun, deuxième fils de Serkong Dorjechang (réincarnation du 81ème Ganden Tripa , Ngagwang Norbu) - Serkong Dorjechang fut un très grand maître gelugpa, réputé pour avoir atteint les plus hautes réalisations des tantra. Il avait pourtant été vivement critiqué lorsqu'il avait décidé de revenir à l'état laïque et de prendre femme après avoir achevé ses études des sūtra et des tantra. Lui dont on disait qu'il était une émanation de Marpa eut un fils reconnu comme tulkou (sprul-sku), et considéré comme la réincarnation de Darma Dode - le fils trop tôt disparu de Marpa. La famille s'était reconstituée à huit siècles d'intervalle...
Toujours est-il que Serkong Rinpoche fils entra également à Gyudmed, et lorsqu'il en devint maître de discipline, il se forgea la réputation d'être d'une sévérité extrême. Les jeunes moines sont souvent, comme n'importe quels jeunes gens, un peu dissipés, voire turbulents. L'un d'eux ne cessait de regarder autour de lui pendant les cérémonies si bien que, pour l'obliger à se calmer, Serkong Rinpoche lui posa sur la tête une lampe à beurre un long moment, le prévenant que si la lampe tombait, il l'exclurait du collège. Le malheureux eut bien de la peine à demeurer parfaitement immobile car ses camarades l'interpellaient et lui adressaient des grimaces... Mais il réussit à tenir bon.
En bon Tibétain, Serkong Rinpoche ne manquait pas d'humour. Parmi les jeunes moines, il s'en trouvait un avec lequel il entretenait des relations amicales mais qui avait la fâcheuse hatibude de critiquer tout le monde. Or, un jour d'hiver durant le mandat de Serkong Rinpoche, celui-ci s'aperçut au cours d'une inspection que les bottes de son jeune camarade n'étaient pas réglementaires. Le lacet les fermant conservait ses fils décoratifs des deux côtés alors que les moines de Gyudmed doivent les couper à l'une des extrémités.
Serkong Rinpoche apposa donc de la tsampa (farine d'orge précuite) sur les fils incriminés, convention indiquant au contrevenant qu'il doit présenter des excuses au maître de discipline, lequel lui infligera une sanction. Mais en voyant la marque sur ses bottes, le garçon se contenta de s'écrier : "Ca, c'est un coup de Serkong", aggravant encore son cas par une impolitesse désinvolte.
En guise de pénitence, le maître de discipline l'assigna le lendemain à souffler dans une trompe (dung), ce qui suscita l'hilarité générale car, en tibétain, on dit des mauvaises langues qu'ils "soufflent dans la trompe".
Notons à ce propos qu'au collège de Gyudmed, n'importe qui peut "jouer" de la trompe car il faut juste souffler dedans, mais surtout pas chercher à en tirer des sons musicaux. Le faire constitue même une faute susceptible de renvoi.
Il y eut ainsi autrefois un moine ritualiste qui jouait trop bien du tambour, au point qu'il fut expulsé ! Il se fit alors admettre à Sera (la discipline de Gyudmed est telle qu'en être chassé n'est pas forcément déshonorant) et là se mit à l'étude de la philosophie au point de devenir un grand érudit. Plus tard, il disait que personne n'avait autant fait pour lui que l'inflexible maître de discipline de Gyudmed qui l'avait banni !
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