J'avoue ne pas être très patiente, mais s'il y a une petite phrase qui en général m'insupporte, c'est bien celle-ci, et plus encore la formule dérivée : "C'est son karma".
Rapporté à soi, c'est du fatalisme. Appliqué à autrui, c'est un mélange d'indifférence, de paresse et d'égocentrisme. Ou pire, de la malveillance.
Je me trompe sans doute. Cela vaudrait mieux. Mais c'est hélas dans ces tonalités que j'entends, trop souvent, sonner ces formules bien pratiques, si commodes qu'elles ont fait recette dans notre bonne vieille société française. En concurrence avec un autre terme, cette fois japonais, qui subit des distorsions non moins étonnantes. Et navrantes. Vous avez deviné qu'il s'agit du mot "zen".
Tenons-nous en aujourd'hui au "karma".
Oui, la notion de karma est importante dans le bouddhisme. Elle est même fondamentale. Mais elle est, me semble-t-il, ré-interprétée d'une façon regrettable.
Si dans l'hindouisme le karma désigne, peut-être, le sort, qui nous dépasse et auquel on ne peut rien, ce n'est NULLEMENT ainsi qu'il est présenté dans le bouddhisme. Et d'ailleurs, il vaudrait déjà mieux éviter de l'ériger en absolu avec l'article défini "LE". Ah ! la langue française et ses articles obligatoires, qui délimitent les champs sémantiques, avec l'avantage de la précision et l'inconvénient de la ... précision.
Pas le temps d'entrer dans les détails maintenant. Pour reprendre les petites phrases de tout à l'heure, elles seraient déjà plus justes, ou plus compréhensibles, si on les développait un brin : "C'est le résultat d'un karma , ou de karmas, que j'ai accumulé(s) à un moment ou à un autre dans le passé." / "... qu'il a accumulé(s)..."
Ce qui nous arrive n'est en effet pas un karma, mais un résultat de karma.
Alors, qu'est-ce que c'est, un karma ?
Le mot "karma" donne l'idée d'action. Il qualifie avant tout l'un des facteurs de notre esprit, c'est-à-dire de nos perceptions : le facteur de la "volition", qui a pour rôle de permettre aux composantes mentales qu'il accompagne de se mouvoir vers leur objet. Sans volition, sans karma, pas de perception possible.
Que constatons-nous si nous observons l'activité de notre esprit ? Qu'elle ne cesse jamais tout au long de notre vie, y compris lorsque nous dormons. Et elle est loin d'être simple. Il nous est habituel de cumuler les perceptions. Nous n'avons guère de mal pour simultanément voir, entendre, sentir une odeur, goûter d'une saveur, éprouver un toucher et penser. D'accord, quand nous jonglons de la sorte, l'une des perceptions l'emporte sur les autres, au point que nous sommes souvent inconscients des plus faibles. Elles ont pourtant eu lieu. Et donc, selon le bouddhisme tout au moins, chacune a forcément comporté un karma. C'est bien pour cela que les bouddhistes mettent ce facteur mental au rang des facteurs "omniprésents", c'est-à-dire nécessaires pour toute perception, sensorielle ou mentale.
La perception d'un certain objet ne dure jamais bien longtemps. Toujours selon le bouddhisme, quand elle prend fin, elle laisse des traces en l'esprit. C'est que l'on appelle les "empreintes". Si les pensée d'amour laissent des empreintes d'amour, les karma laissent des empreintes "karmiques", qu'on appelle du reste également "karma", histoire de brouiller les pistes.
Ce sont comme des potentialités en veilleuse, qui pourront donner des résultats sitôt les conditions réunies.
En fonction de leur puissance, les karma qui se déposent ainsi en l'esprit génèrent des fruits plus ou moins abondants, et ce, plus ou moins vite. Bien sûr, les résultats ressembleront à leur(s) cause(s). Si on n'accumule que des potentialités négatives, il ne faut espérer en tirer quoi que ce soit de bon et d'agréable. Des karma associés à des facteurs mentaux tels que la haine ou l'attachement ne pourront susciter que des souffrances. Des karma alliés à la sagesse ou la générosité seront source de bonheurs.
On en revient donc à l'énoncé initial, et "si quelqu'un souffre, il n'a jamais que ce qu'il mérite puisque ce sont là les conséquences de ses karma."
Trop facile.
Même si, effectivement, le hasard n'a pas droit de cité dans la vision bouddhiste des choses, et donc pas davantage "l'injustice", il n'en reste pas moins vrai que par défintion la compassion - qualité ô combien prônée et célébrée, et parachevée, par le Boudha - porte sur qui, sinon sur les êtres qui souffrent.
Par ailleurs, si ce que nous ressentons et expérimentons est régi par la loi de causalité, cela exclut l'idée de fatalité. Il n'y a rien de plus dynamiques et évolutifs que les karma. Autrement dit, notre bonheur est entre nos mains : il faut et il suffit que nous accumulions les karma adéquats, et nous nous assurerons des lendemains chantants ! Et dire qu'il y en a pour prétendre que le bouddhisme est pessimiste...
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