dimanche 14 octobre 2007

Témoignage oculaire

"Mais j'y étais. Je l'ai vu !"

Combien de fois avons-nous sorti ce genre de phrases, en toute sincérité ? Et pourtant...

En tant que bouddhistes, on nous a expliqué que les apparences sont ô combien trompeuses et que de toute façon, ce qui nous apparaît correspond bien plus aux karmas dont nous sommes porteurs qu'à une quelconque "réalité", dont nous ne pouvons finalement pas connaître grand chose. Tous ceux qui ont étudié un peu le Dharma (l'Enseignement du Bouddha) ont lu ou entendu le fameux exemple du liquide : pour le deva, c'est du nectar ; de l'eau aux yeux de l'humain mais rien que du pus pour le preta (esprit famélique).

Seulement, de la théorie à la pratique, il y a un pas (de géant). Et s'il y a quelque chose à quoi nous tenons, c'est à nos opinions, lesquelles sont - forcément - fondées sur ce qui nous apparaît à l'esprit ! C'est dire leur degré de fiabilité.
Mais cela ne nous empêche nullement de nous y accrocher. Allez ! Avouons qu'en règle générale, nous estimons avoir raison, et si les autres ne sont pas d'accord avec nous, c'est donc qu'ils ont tort, ou qu'ils sont de mauvaise foi, ou que... Nous voilà à défendre becs et ongles notre point de vue. Cela ne va pas toujours jusqu'au pugilat, bien heureusement. Parfois, cela se termine dans un éclat de rire contagieux quand l'erreur commise est évidente - c'est d'ailleurs un filon constamment exploité dans le secteur "comique".

Une anecdote me revient à la mémoire. Nous sommes en Suisse, à Zurich, en hiver 1976, ou 77 (je n'ai pas la mémoire des chiffres ), et nous venons de bénéficier à nouveau des précieux enseignements dispensés par Geshe Rabten-lags, avec sa clarté et sa précision coutumières.

Certains d'entre nous l'ont rencontré dans son ermitage de Dharamsala, en Inde, et le suivent depuis plusieurs années. D'autres, comme moi, avons eu la chance de l'écouter à Rolle (tout près de Lausanne) durant ce magnifique été 1974 où pour la toute première fois en Europe a été transmis un enseignement guélougpa à des Occidentaux. C'était le lamrim intitulé la "Voie aisée". Tout un programme. Depuis, Geshe Rabten-lags est revenu plusieurs fois, malgré ses nombreuses obligations en Inde - c'est qu'il est l'un des "tsènshab" (assistants en philosophie) de Sa Sainteté le Dalaï Lama.

Notre maître est en fait d'une bonté et d'une douceur infinies, mais il nous impressionne au plus haut point. Nous le regardons installé sur le trône, et nous le voyons imposant, immense même. Une montagne très sécurisante tant elle dégage de calme et de force. Et puis, nous nous sommes laissé dire qu'il est un Khampa. Vous savez, ces courageux guerriers de l'est du Tibet.

Une enveloppe a circulé et des conciliabules se multiplient : qu'offrir au Maître pour lui marquer notre reconnaissance, et tant qu'à faire, que lui donner qui puisse lui être utile ? Les habitués de Dharamsala conseillent l'achat d'une chaude veste en peau de mouton et de chaussettes de laine. C'est entendu, et une équipe se charge d'effectuer le emplettes. La dernière matinée se déroule paisiblement en dépit de l'émotion qui grandit : l'heure de la douloureuse séparation approche. Qui sait si on aura l'occasion de se revoir dans cette vie ? Ca y est, c'est l'offrande du mandala* de remerciement. Les organisateurs se lèvent, se prosternent et présentent sur un long khata blanc nos menus (enfin, est-ce le terme ?) cadeaux.

Geshe Rabten-lags prend le paquet et pour cette fois déroge aux habitudes asiatiques, je suppose exprès : il regarde devant nous le contenu, et le déploie. D'abord les chaussettes, taille 45 si mes souvenirs sont bons, puis la veste, taille 50 au moins. Il éclate de rire, puis nous montre à ses côtés son interprète, un moine d'origine suisse : il nous explique gestuellement que ce sera parfait pour ce grand gaillard. Car c'est ce jour-là que nous avons vu que Geshe Rabten-lags n'était pas de haute taille, contrairement, à ce qu'il nous semblait depuis des années. Et il chaussait du 38 !

Mais il était un grand Maître, un très grand Maître.


* Offrande du mandala : offrande symbolique de l'univers.

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