jeudi 11 octobre 2007

Un très mauvais rêve

Le grand Traducteur Marpa n'avait pas pour seul disciple "l'infortuné" Milarepa dont les épreuves sont bien connues (des initiés) - j'ai mis des guillemets, car en dépit des coups et blessures subis, il serait infiniment plus juste d'écrire le "fortuné" Milarepa. Franchement, quelqu'un qui parvient en une vie à parcourir les étapes de la voie spirituelle et dont les instructions ont traversé les siècles et les frontières sans prendre une ride, n'est-il pas suprêment "fortuné" ? Et si son Maître n'a pas hésité à employer les grands moyens pour lui faire opérer une purification rapide et complète, n'était-ce pas parce qu'il avait décelé en lui des facultés exceptionnelles ?

Qu'est-ce qu'un disciple ? Dans le bouddhisme, c'est quelqu'un qui a placé sa confiance en un Maître, qu'il a lui-même choisi et dont il reçoit conseils et enseignements, pour les mettre en pratique (enfin, il devrait le faire, s'il était logique avec lui-même).
Que transmet le Maître à ses pupilles ? Les instructions qu'il a reçues de ses propres maîtres, lesquels les avaient obtenues de leurs maîtres, et ainsi de suite jusqu'au Bouddha Shakyamouni. Or, qu'exposa celui-ci en premier ? Il énonça la vérité de la souffrance, dont la première des quatre caractéristiques est l'impermanence.

Un jour qu'une femme des environs pleurait à chaudes larmes son fils qui venait de mourir, Marpa Lotsawa la consola en ces termes : "Mais ne te tourmente pas de la sorte. Tu sais, en fait, la vie, la mort, ce ne sont qu'illusions. Calme-toi donc. Ce qui vient d'arriver, ce n'est jamais qu'un rêve !"
Bien des années plus tard, le fils bien-aimé de Marpa, Darmadodé, est sans doute un érudit et un grand méditant prometteur, mais il n'en fait qu'à sa tête. Alors que son père et maître lui a intimé l'ordre de rester en retraite stricte, il échappe à la surveillance de sa mère pour se rendre à une fête au village. Au retour, c'est l'accident. Il tombe de cheval et sa tête heurte violemment le sol. Sa vie prend fin, et avec lui la lignée familiale du grand Lotsawa.

Les parents éplorés accourent. Marpa pose la tête de son enfant mort sur ses genoux. Il a tant de pouvoirs, lui, l'expert en transferts de conscience. Ne pourrait-il ramener leur petit à la vie, le supplie son épouse ? Il la rabroue. Non, c'est impossible. Il a tout fait pour éviter ce drame, mais les karma parvenus à maturité sont invincibles. Même un Bouddha n'y peut rien. La maman sanglote sans retenue. Mais le père non plus ne peut retenir ses larmes.

Les voisins alertés arrivent au plus vite et parmi eux, la femme dont je vous parlais plus haut. Et la voici en train de retourner au Maître ses conseils de naguère : "Ne vous affligez pas de la sorte. C'est pure illusion, voyons. Ce n'est jamais qu'un rêve.
- Oui, mais un très mauvais rêve, lui rétorque Marpa. Le rêve le pire qui soit."

De fait, loin de nier et d'occulter la souffrance, les bouddhistes au contraire font tout pour l'identifier sous ses moindres formes. Alors, la mort, et plus généralement la séparation, vous pensez ! C'est rangé dans les pires maux du samsara, ce mode d'existence cyclique déterminée par les karma et les facteurs perturbateurs de l'esprit - attachement, aversion et surtout leur source commune : l'ignorance.

Sage ou pas, érudit ou non, la perte d'un être cher est une expérience douloureuse. Ce qu'apporte la sagesse, ce n'est pas de l'insensibilité et encore moins de la dureté. Elle octroie la capacité à ne pas aggraver la situation, ce qui n'est pas rien.
Oui, la naissance entraîne la mort. Oui, la rencontre implique la séparation. C'est inéluctable. Ce n'est pas joyeux pour autant.

Sérénité n'est pas indifférence.Tel était peut-être l'Enseignement du grand Marpa Lotsawa le jour funeste de la mort de Darmadodé.

1 commentaire:

  1. Chaque sortie est une entrée ailleurs...puisse cet ailleurs être inondé de Bonheur et de lumière pour chacun d'entre nous:)

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