L'un des tout premiers lama tibétains à être venus en France après les évènements de 1959 était un "abbé retiré du collège tantrique de Gyudmed et s'appelait Geshe Nagwang Legden (1899 -1971). Il était l'un des maîtres de Dagpo Rinpoche, arrivé quant à lui dès 1960 dans notre beau pays et avait répondu à son invitation, pour diriger une petite communauté que Rinpoche essayait de mettre sur pied dans l'Yonne.
Né à Shangpa dans le Tsang, c'est à Drepung, et plus précisément au collège de Gomang que le futur abbé effectue sa formation. Ses deux professeurs principaux sont Mongols : Öser Dorje et Jamyang Chöphel. Ce dernier a été maître de discipline à Gyudmed Datsang et quand plus tard il retournera en Mongolie, il deviendra le supérieur de Padkar Chöling.
Le jeune Nagwang Legden se distingue rapidement par sa brillante intelligence et son éloquence intarissable, ; il est particulièrement bon en pramāṇa (logique) et forme à son tour un grand nombre de disciples. Il obtient bientôt le grade de geshe lharampa, "geshe de Lhasa", le titre le plus prestigieux pour lequel les examens finaux se déroulaient au grand temple du Jokhang devant des milliers et des milliers de moines lettrés, lesquels avaient le droit d'intervenir durant les débats qui abordaient successivement les cinq grands domaines.
Le nouveau geshe entre à Gyudmed Datsang pour approfondir sa connaissance des tantra et il y gravit tous les échelons de la hiérarchie. Il est déjà abbé retiré lors de l'exil en 1959 et il prend une part active au départ du Dalaï-Lama, en collaboration avec le grand chambellan Phala, le ministre Zurkhangpa et l'abbé de Sera Med, Nagwang Dagpa. Avec ce dernier, il part même en avant-garde pour effectuer les préparatifs nécessaires.
En Inde, après avoir été abbé remplaçant (mkhan-tshab) à Gomang Datsang, il assure cette même fonction un an durant à Gyudmed Datsang, à Dalhaousie, puis regagne le camp de Buxa (Bengale) où il dispense à nouveau de précieux enseignements aux cinquante moines rescapés de Gomang (cinquante sur les milliers de moines que comptaient le collège au Tibet !). A la demande du gouvernement en exil, il parcourt ensuite les camps de réfugiés tibétains pour y prodiguer encouragements et conseils, y compris à la troupe de théâtre (zlos-gar) constituée à Dharamsala...
Gyudmed Khenzur Rinpoche accepte ensuite l'invitation de son disciple, Dagpo Rinpoche, et arrive en France en novembre 1964. Il dispense des enseignements aux membre de la communauté établie dans l'Yonne, mais aussi à une vingtaine d'enfants tibétains venus étudier à Lyon, et aux réfugiés acceptés par la Suisse. Bien que déjà relativement âgé, il conserve son dynamisme et se met à étudier le français, témoignant la plus grande déférence à la dame qui lui sert de professeur : il se porte dehors à sa rencontre, lui sert le thé avec les gestes les plus respectueux . autrement dit il se comporte en disciple empressé. Elève studieux, il retient aisément les règles de grammaire française, mais a bien du mal avec la prononciation. Il faut dire qu'il n'a plus guère de dents ...
C'est à cette époque que l'évêque local vient très aimablement rendre une visite de courtoisie aux moines tibétains. Il a pris soin de se renseigner et quand il est reçu par l'assistant de Rinpoche, Geshelags (Geshe Thupten Phuntsog), il évoque devant lui "le grand véhicule". Mais son interlocuteur ne maîtrise pas encore la langue de Molière et répond : "Non, non, petit, tout petit véhicule...", car il pense à la voiture - une deux-chevaux - mise à leur disposition par une amie...
En août 1968, l'Abbé accède à la requête d'un autre de ses disciples, mongol, Sogpo Wangyäl, et s'installe à New-York, où il finit ses jours en formant de nouveaux élèves, cette fois américains, dont Jeffrey Hopkins. Toujours par souci d'intégration, il s'est derechef mis à l'anglais...
Ajoutons que ses maîtres principaux étaient Khangsar Dorjechang, Kyabje Ling Dorjechang, Kyabje Trijang Dorjechang et Mochog Rinpoche.
Son intelligence n'avait d'égale que son ouverture. C'est lui qui, au Tibet, a organisé la première bibliothèque de prêt à Gomang Datsang, bientôt imité par les autres collèges. A Buxa, il ne se contentait pas de donner des cours de philosophie. Il essayait par tous les moyens de faire comprendre à ses compagnons d'exil les implications de leur nouvelle situation. Et pour les convaincre de la nécessité d'accepter le cours des choses et de s'adapter, eh bien ! il montrait l'exemple. On le retrouvait donc balayette à la main, en train de nettoyer les toilettes du camp - qui en avaient bien besoin ! Il n'hésitait pas davantage à donner un coup de balai si nécessaire, faisant fi de son rang et des privilèges afférents.
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