mercredi 10 octobre 2007

Le Lama et son mouton

Non, ce n'est pas une fable que je m'apprête à vous narrer. Juste un épisode de la vie de l'un des plus grands Maîtres tibétains du XXème siècle : Kyabjé Ling Dorjéchang, qui fut le Tuteur Senior de S.S. le 14ème Dalaï Lama et aussi Ganden Tripa - chef suprême de l'école des gélugpa, les "vertueux", très à cheval sur l'observance des règles du vinaya.

A propos de cheval, aujourd'hui, ce n'est pas de la monture du hiérarque dont je souhaite vous entretenir - il y aurait pourtant bien des anecdotes à vous narrer car Kyabjé Dorjéchang avait un lien très fort avec sa jument également.
Je viens vous parler de Tsering, "Longue Vie", le mouton apprivoisé du Maître qui le suivait dans les ruelles de Lhasa comme un chien fidèle.

A l'époque, le jeune Lama dirige d'une poigne de fer le collège tantrique de Gyutö. Un jour qu'il se trouve sur le toit du temple - du fait du climat, les toitures tibétaines sont traditionnellement plates et servent de terrasses -, il jette un coup d'œil au spectacle des rues en contre-bas, et horreur ! il aperçoit près de l'étal d'un boucher un malheureux mouton déjà tout ficelé, prêt à être égorgé. Sans perdre de temps, il expédie un de ses assistants pour racheter l'animal, avant immolation bien sûr. C'est une pratique courante en société bouddhiste que de sauver des bêtes de boucherie : en protégeant ainsi la vie d'autrui, on acquiert d'excellents karma, gages de longévité et de santé pour l'avenir.

In extremis, le mouton échappe au couteau et se retrouve au monastère pour quelques jours, puis Kyabjé Dorjéchang l'emmène chez lui, dans son ermitage, où il a déjà tout un cheptel sous sa protection diligente, et affectueuse. Il noue une relation de confiance avec Tsering, qui bientôt le suit partout comme un toutou. Les jours de congé et de beau temps, le Maître attache un petit ballot sur le dos de son compagnon, et les voilà partis tous les deux au bord de la rivière. Tandis que l'un lit ou écrit installé sur le petit tapis porté par Tsering, l'autre paisse tranquillement sans jamais s'éloigner.

Kyabjé Dorjéchang, qui connaissait bien ses compatriotes, n'avait de cesse de les inciter à bien traiter les animaux. Tous les animaux. Et il donnait l'exemple.

Ainsi, devenu professeur du tout jeune Dalaï Lama, quand il se rend pour la leçon quotidienne au Norbu Lingka, il a toujours, dans les plis de ses vêtements, des friandises destinées à la population animale du Palais d'été. Les singes le savent bien , et ils se précipitent vers lui, fouillant ses poches sans aucune considération pour son rang, mais avec une confiance touchante.

Kyabjé Dorjéchang, l'ami des animaux, un exemple unique parmi les dignitaires bouddhistes ?
Certes non.

Rappelons-nous Atisha qui, après son arrivée au Tibet en 1042, se fait - mais oui - morigéner par son disciple Kutön. L'altier seigneur lui reproche de caresser les animaux qu'il a, lui aussi, sauvés du boucher. Franchement, ce ne sont pas des choses qui se font chez les nobles Tibétains.
Atisha n'en a cure et rétorque qu'il n'est pas un noble tibétain...
Pire ! Atisha leur parle, et leur dit des mots doux. Il les appelle tendrement "ses vieilles mères" et leur demande : "Mais qu'as-tu donc fait pour te retrouver dans un état pareil ?" Puis il leur murmure des prières à l'oreille. Pour que leur prochaine naissance soit meilleure.

Et ça peut marcher ! Le Pandit Sthiramati en a fait la preuve.

Sthiramati, disciple de Vasubandhu, est réputé pour avoir surpassé les connaissances de son Maître dans le domaine de l'Abhidharma. Ce qui n'est pas peu dire. Mais comment en est-il arrivé à un tel niveau ?
Selon les chroniques, dans sa vie précédente, il était un pigeon, lequel avait élu domicile dans la frondaison d'un arbre. Rien d'étonnant, me direz-vous. Oui, sauf que c'était l'arbre à l'abri sous lequel Vasubandhu avait coutume de s'installer - dans une baignoire pleine d'huile, pour éviter les tensions nerveuses ! - quand il récitait les innombrables textes qu'il avait mémorisés.
Un jour, le pigeon meurt et renaît dans une famille à l'autre bout de l'Inde. Sitôt né, le bébé lance à son père : "Où est mon Maître ? - Qui est ce Maître ?, demande en retour Cudra, pas plus étonné que cela (mais c'est un Indien, pour qui la réincarnation est une évidence). - Vasubandhu."
En père attentionné, Cudra se renseigne auprès de commerçants et finit par découvrir que Vasubandhu réside dans le Centre du pays. Et dès que son fils est assez grand pour entreprendre le long voyage, il l'amène à son Maître ! Exemple d'amour paternel, totalement désintéressé...

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