La tradition du collège tantrique Gyudmed Datsang exige un langage "déférent et poétique" :
- déférent, c'est-à-dire que les termes honorifiques sont préférés aux mots ordinaires (dbu et non mgo, "tête ; phyag et non lag, "main", etc.).
- Le qualificatif "poétique" est en revanche trompeur. Il ne s'agit nullement de s'abandonner au lyrisme, mais de recourir à des techniques de la poétique, comme de s'exprimer d'abord à mots couverts (gab-tshig) ou par allusions (dgar-tshig), pour redresser les fautes commises par les moines, à condition qu'elles ne soient pas trop graves.
Supposons que l'un ou l'autre ait ouvert ou fermé le rideau à contretemps, ou qu'il ait pénétré chaussé dans le temple, ou que - distrait ou somnolent - il ait laissé tomber son bol ou un instrument de musique, notamment un jour de cérémonie importante comme une grande auto-initiation de Guhyasamāja.
Il est du devoir des supérieurs de le reprendre mais, la première fois, à mots couverts : si le contrevenant est un ancien, ils évoquent "quelqu'un parmi les jeunes" ; s'il est assis en début de rangée, il est décrit comme se trouvant à l'extrémité, et ainsi de suite ; le but est que seule la personne concernée puisse comprendre qu'il s'agit d'elle et qu'elle fasse amende honorable.
Si elle néglige de le faire, une deuxième fois les supérieurs font allusion à son infraction de sorte que ses voisins de travée et les membres de sa section locale (thab-tshang gcig-pa, "du même foyer") puisse la reconnaître, mais pas les autres.
Si le fautif présente des excuses après la première ou la deuxième remontrance, l'affaire en reste là.
Pourquoi procéder de la sorte au lieu de le convoquer directement ?
Parce que le bouddhisme prône la compassion et que, par ailleurs, on considère que le contrevenant n'a pas mal agi délibérément, mais sous le coup d'un obstacle. Par conséquent, les deux premières interventions des supérieurs visent à l'aider, et non à le punir, mais si elles restent lettre morte, il s'ensuit une troisième, où ils le morigènent sans plus de détours et prononcent, presque toujours, son renvoi. Les infractions les plus graves entraînent quant à elles l'exclusion immédiate et sans appel : alcool, vol (qu'il soit minime ou important), tabac à chiquer ou à priser, bagarre.
La pédagogie des Maîtres bouddhistes est sidérante et époustouflante ! Je suis pleine d'admiration devant un tel savoir faire et une telle connaissance des rouages de nos esprits. Ce sens inédit de la "poésie" comble d'espoir l'enseignante que j'ai tenté d'être jadis.
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