Contexte : discussion du budget rectifié pour 1848, avec proposition
de réductions sur le budget spécial des sciences, des lettres et des arts
...
Eh ! quel est, en effet, j'en appelle à vos
consciences, j'en appelle à vos sentiments à tous, quel est le grand péril de
la situation actuelle ? L'ignorance ; l’ignorance plus encore que la
misère... l'ignorance qui nous déborde, qui nous assiège, qui nous investit de
toutes parts. C'est à la faveur de l'ignorance que certaines doctrines fatales
passent de l'esprit impitoyable des théoriciens dans le cerveau confus des
multitudes. Le communisme n'est qu'une forme de l'ignorance. Le jour où
l'ignorance disparaîtrait, les sophismes s'évanouiraient. Et c'est dans un
pareil moment, devant un pareil danger qu'on songerait à attaquer, à mutiler, à
ébranler toutes ces institutions qui ont pour but spécial de poursuivre, de
combattre, de détruire l'ignorance !
Sur ce point, j'en appelle, je le répète, au sentiment
de l'Assemblée. Quoi ! d'un côté, la barbarie dans la rue, et de l'autre,
le vandalisme dans le Gouvernement ! Messieurs, il n'y a pas que la prudence
matérielle au monde, il y a autre chose que ce que j'appellerai la prudence
brutale. Les précautions grossières, les moyens de force, les moyens de police
ne sont pas, Dieu merci, le dernier mot des sociétés civilisées ! On
pourvoit à l'éclairage des villes, on allume tous les soirs, et on fait très
bien, des réverbères dans les carrefours, dans les places publiques ; quand
donc comprendra-t-on que la nuit peut se faire aussi dans le monde moral, et
qu'il faut allumer des flambeaux pour les esprits !
Puisque l'Assemblée m'a interrompu, elle me permettra
d'insister sur ma pensée.
Oui, messieurs, j'y insiste. Un mal moral, un mal
moral profond nous travaille et nous tourmente; ce mal moral, cela est étrange
à dire, n'est autre chose que l'excès des tendances matérielles. Eh bien,
comment combattre le développement des tendances matérielles ? Par le
développement des tendances intellectuelles. Il faut ôter au corps et donner à
l'âme.
Quand je dis: Il faut ôter au corps et donner à l'âme,
vous ne vous méprenez pas sur mon sentiment. Vous me comprenez tous ; je
souhaite passionnément, comme chacun de vous, l’amélioration du sort matériel
des classes souffrantes ; c'est là, selon moi, le grand, l'excellent progrès
auquel nous devons tous tendre de tous nos vœux comme hommes et de tous nos
efforts comme législateurs.
Mais si je veux ardemment, passionnément le pain de
l'ouvrier, le pain du travailleur, qui est mon frère, à côté du pain de la vie,
je veux le pain de la pensée, qui est aussi le pain de la vie ; je veux
multiplier le pain de l'esprit comme le pain du corps.
Il me semble, messieurs, que ce sont là les questions
qui ressortent naturellement de ce budget de l’instruction publique que nous
discutons en ce moment.
Eh bien, la grande erreur de notre temps a été de
pencher, je dis plus ; de courber l’esprit des hommes vers la recherche du
bien-être matériel, et de les détourner par conséquent du bien-être religieux
et du bien-être intellectuel. La faute est d’autant plus grande que le
bien-être matériel, quoi qu'on fasse, quand même tous les progrès qu’on rêve et
que je rêve aussi, moi, seraient réalisés, le bien-être matériel ne peut et ne
pourra jamais être que le partage de quelques-uns, tandis que le bien-être
religieux, c'est-à-dire la croyance, le bien être intellectuel, c'est-à-dire
l’éducation, peuvent être donnés a tous. D’ailleurs le bien-être matériel ne
pourrait être le but suprême de l'homme en ce monde qu'autant qu’autant qu’il
n’y aurait pas d’autres vies et c’est là une affirmation désolante, c’est là un
mensonge affreux qui ne doit pas sortir des institutions sociales.
Il importe, messieurs, de remédier au mal, il faut
redresser, pour ainsi dire, l’esprit de l’homme ; il faut, et c'est à la
grande mission spéciale du ministère de l'instruction publique, il faut relever
l'esprit de l'homme, le tourner vers Dieu, vers la conscience, vers le beau,
vers le juste et le vrai, vers le désintéressé et le grand. C'est là ; et
seulement là, que vous trouverez la paix de l'homme avec lui-même, et par
conséquent la paix de l'homme avec la société.
Pour arriver à ce but, messieurs, que
faudrait-il faire ? Précisément tout le contraire de ce qu'ont fait les
précédents gouvernements ; précisément tout le contraire de ce que vous propose
votre comité des finances. Outre l'enseignement religieux, qui tient le premier
rang parmi les institutions libérales, il faudrait multiplier les écoles, les
chaires, les bibliothèques, les musées, les théâtres, les librairies ; il
faudrait multiplier les maisons d'études, pour les enfants, les maisons de
lecture pour les hommes ; tous les établissements, tous les asiles où l'on médite,
où l’on s'instruit, où l’on se recueille, où l'on apprend quelque chose, où
l'on devient meilleur, en un mot ; il faudrait faire pénétrer de toutes parts
la lumière dans l'esprit du peuple, car c'est par les ténèbres qu'on le perd.
Ce résultat vous l'aurez quand vous voudrez ; quand
vous le voudrez, vous aurez en France un magnifique mouvement intellectuel ; ce
mouvement, vous l'avez déjà ; il ne s'agit que de l'utiliser et de le diriger;
il ne s'agit que de bien cultiver le sol. La question de l'intelligence,
j'appelle sur ce point l'attention de l'Assemblée ; la question de
l'intelligence est identiquement la même que la question de l'agriculture.
L'époque où vous êtes est une époque riche et féconde
; ce ne sont pas, messieurs, les intelligences qui manquent, ce ne sont pas les
talents ; ce ne sont pas les grandes aptitudes ; ce qui manque, c’est
l’impulsion sympathique, c’est l'encouragement enthousiaste d'un grand
gouvernement.
....
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire